Faut-il craindre la désindustrialisation  ?

Le thème de la désindustrialisation de la France constitue une préoccupation particulièrement marquée du président Sarkozy. Celui-ci déclarait il y a quelque temps : « Je veux que la France garde des usines, des ouvriers », et maintenant, après les états généraux de l'industrie, il passe à une phase plus opérationnelle. Il est vrai que la désindustrialisation semble être un fait bien établi : ainsi, de 1997 à 2007, la part de l'industrie dans le PIB est passée de 18,4 % à 12,1 % et les emplois industriels ont diminué de 2 millions en trente ans. Mais un autre fait mérite d'être souligné : au cours de la période 1997-2007, la production industrielle en volume est restée à peu près constante, à un niveau d'environ 17 %. Comment interpréter ces faits ? Ils signifient que l'industrie française produit maintenant la même quantité de biens en employant moins de personnes, c'est-à-dire qu'il y a eu des gains de productivité importants. Pour cette raison, les prix de vente des produits industriels ont pu baisser par rapport aux autres biens, ce qui se traduit par une baisse de la part de la production industrielle dans le PIB en valeur. On devrait donc se réjouir de cette évolution, puisqu'elle signifie que le progrès technique a été important dans l'industrie et qu'on a pu ainsi économiser un facteur de production précieux entre tous, la main-d'oeuvre !Mais, en outre, même si la désindustrialisation était un fait véritable, faudrait-il s'en désoler et le gouvernement devrait-il prendre des mesures pour la freiner ou l'empêcher ? Il n'en est rien. Il n'existe en effet aucun moyen de justifier rationnellement l'idée que l'industrie française devrait représenter tel ou tel pourcentage de l'ensemble des activités. Bien sûr, il se peut que la préoccupation au sujet de la désindustrialisation soit motivée essentiellement par le sentiment qu'elle se traduit par une destruction d'emplois - ce que les gains de productivité impliquent effectivement - et qu'elle contribue donc au maintien d'un taux de chômage élevé. Mais il y a là une erreur de perspective que l'on commet chaque fois que l'on prend pour critère de décision le nombre d'emplois créés ou détruits. Il convient en effet d'adopter une vision dynamique et de voir que tout le progrès de l'humanité est venu du fait que l'on a constamment accepté la destruction des emplois dans les activités devenues obsolètes et la création d'emplois dans d'autres activités. C'est ainsi que les sociétés modernes sont passées de l'agriculture à l'industrie et de l'industrie aux services. Fort heureusement, on ne s'est pas trop préoccupé de la « désagriculturisation » de la France, des progrès considérables dans la productivité agricole ayant permis de libérer de la main-d'oeuvre pour les autres secteurs. De même, maintenant, l'industrie perd des emplois à cause des progrès de la productivité et parce que les activités industrielles migrent vers d'autres cieux. Mais ce dernier processus n'est pas en lui-même regrettable s'il signifie que les producteurs français abandonnent de plus en plus la production purement matérielle des biens pour se spécialiser dans des activités de services à plus fort contenu intellectuel, par exemple la conception de produits, la finance, le design, le marketing, etc. La désindustrialisation n'est alors qu'une des facettes du progrès économique. Si le chômage est important en France, ce n'est pas parce que certaines activités détruisent des emplois, mais parce qu'il ne se crée pas suffisamment d'emplois par ailleurs, du fait des excès de prélèvements obligatoires et de réglementations. Il serait donc beaucoup plus important, pour l'industrie comme pour les autres activités, de porter remède à tous ces obstacles paralysants que de créer de nouvelles bureaucraties-gadgets sous forme « d'instances de réflexion stratégique et d'échange » pour chaque filière industrielle ou de « médiateur de la sous-traitance », comme cela a été annoncé, dans le vain et inutile espoir de « réindustrialiser » la France ! Dernier ouvrage paru : « Revenir au capitalisme pour éviter les crises » (Éditions Odile Jacob).Point de vue Pascal Salin Professeur émérite à l'université Paris-Dauphine
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