Ces narco-juniors qui font trembler le Mexique

Les bottes de cow-boy, l'arme à la ceinture et les énormes 4×4, c'est fini. L'image d'Épinal du narcotrafiquant mexicain a vécu. Les nouveaux mafieux s'habillent en costumes Versace, vont à l'université, vivent discrètement au Mexique. Relève générationnelle oblige, les descendants des grands barons de la drogue prennent désormais les rênes des cartels. Élégant et cultivé, Luis Fernando Sánchez Arellano ne paie pas de mine sur les photos de la police. Ce discret trentenaire, surnommé « El Alineador » (l'Alignateur), est pourtant l'un des hommes les plus recherchés du Mexique. Depuis les arrestations et assassinats de ses oncles, il a pris les rênes du cartel de Tijuana (nord-ouest) et sa tête est mise à prix 2,5 millions de dollars.Autre figure emblématique des « narco-juniors » : Vicente Carrillo Leyva, 33 ans. Celui qu'on appelle « El Ingeniero (l'ingénieur) » a été arrêté en mai 2009 alors qu'il faisait son jogging dans un quartier chic de Mexico. Son père a créé le cartel de Juarez (nord), un des plus puissants du Mexique et depuis sa mort mystérieuse en 1997, son fils a pris du galon au sein du cartel, sous la tutelle de son oncle, Vicente Carillo Fuentes. Après des études dans des universités privées au Mexique, en Suisse et en Espagne, Vicente Junior se chargeait de placer à travers le monde l'argent de la drogue par l'intermédiaire de sociétés écrans. En 1998, José Reveles, journaliste du quotidien « El Financiero », révélait son arrestation par la police française qui avait repéré un jeune Mexicain flambant des milliers de dollars en restaurants et voitures de luxe. Faute de preuve, « El Ingeniero » aurait été libéré 48 heures après. Onze ans plus tard, les autorités mexicaines ont finalement mis la main sur ce fin stratège, qui vivait sous un faux nom dans une discrète villa de la capitale mexicaine.Son rival du cartel de Sinaloa n'est autre que Vicente Zambada Niebla, dit « El Vicentillo », fils d'Ismaël « El Mayo » Zambada, l'un des anciens dirigeants de cette fédération de parrains. Arrêté lui aussi, l'an dernier, dans un luxueux quartier de Mexico, ce trentenaire aux allures de play-boy codirigeait une organisation gigantesque comprenant chimistes, passeurs, financiers de pointe et tueurs.Comme ces trois « narco-juniors », les fils, neveux ou filleuls des créateurs des grands cartels mexicains sont mieux préparés que leurs aînés. « Leurs parents leur ont permis de faire des études dans les meilleures écoles du monde. L'économie de marché, les flux financiers, les paradis fiscaux ou les processus de production et de distribution à grande échelle n'ont pas de secret pour eux », souligne Igor Israël Gonzalez, professeur de sciences sociales à l'université de Guadalajara. Une étude neuropsychologique menée en 2009 par la préfecture générale de la République (PGR) précise que les « narco-juniors » sont « des individus narcissiques, égocentriques, misogynes, prétentieux, mythomanes, séducteurs et non conformistes » ! Ils vivent aujourd'hui dans d'élégantes résidences à Mexico, fréquentent la jet-set mais conduisent autant une Jaguar qu'une camionnette Lincoln Avalanche. « Loin de l'univers ostentatoire et pittoresque de leurs parents, ils font profil bas pour ne pas attirer l'attention des autorités. Ils aspirent aussi à une certaine respectabilité en affichant une image de chef d'entreprise », observe l'ethnologue Miguel Olmos.Ces nouvelles têtes bien faites changent le modus operandi des cartels. « Ils incarnent la division des tâches au sein d'organisations criminelles plus matures. Avant, les barons étaient omniprésents dans l'organisation, certains transportaient eux-mêmes la cocaïne jusqu'aux États-Unis. Aujourd'hui, les nouveaux cols blancs n'ont plus aucun contact avec les producteurs ou les tueurs de leur cartel », explique José Manuel Valenzuela, sociologue au Collège de la Frontière Nord. Ces hommes d'affaires investissent légalement l'argent de la drogue avec une forte capacité de corruption de l'appareil d'État. « 78 % de l'économie mexicaine est infiltrée par les narcos, qui contrôlent plus d'une municipalité sur deux. Le Mexique est un pays féodal, où les parrains ont tous les pouvoirs locaux », analyse Edgardo Buscaglia, spécialiste du crime organisé à l'Institut technologique autonome de Mexico.Acquise à l'économie de marché dans un monde globalisé, cette nouvelle génération part aussi à la conquête de la planète. « Les sept principaux cartels du Mexique sont présents dans 38 pays. Les États-Unis représentent le plus gros marché, devant l'Europe », assure Edgardo Buscaglia. Chaque année, la vente de drogue rapporterait 25 à 40 milliards de dollars, selon les estimations. « Et bien davantage si on inclut l'émigration clandestine, les enlèvements, les jeux d'argent ou la prostitution », précise-t-il.Financiers de haut vol, les « narco-juniors » semblent pourtant plus violents que leurs parents. « Ils sont bien élevés mais affichent un manque d'éthique flagrant. Auparavant, les groupes rivaux ne touchaient pas aux familles de leurs ennemis. Aujourd'hui, ils n'hésitent plus », observe Luis Astorga, professeur à l'Université autonome du Mexique (Unam). Le combat pour le contrôle des routes de la drogue est sans pitié et amplifié par l'offensive frontale du président mexicain Felipe Calderon contre le narcotrafic : 900 meurtres depuis le début de l'année, 7.724 l'an dernier et 5.630 en 2008, selon le décompte du quotidien « El Universal ». « Sanguinaires, les nouveaux barons de la drogue sont aussi plus difficiles à arrêter car ils gèrent le business par le biais d'intermédiaires. Pas facile dans ces conditions de les prendre en flagrant délit », déplore le sociologue José Manuel Valenzuela. Malgré 45.000 militaires et 30.000 policiers mobilisés, et quelque 100.000 arrestations, les cartels mexicains ne semblent pas fléchir. Telles les têtes de l'Hydre de Lerne, les « narco-juniors » arrêtés ou tués sont très vite remplacés. Pour Edgado Buscaglia, il s'agit donc de s'attaquer plus efficacement au blanchiment d'argent. Mais la solution passera aussi par les États-Unis. Barack Obama a rappelé la « co-responsabilit頻 des États-Unis dans ce fléau.Frédéric Saliba, à Mexico
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.