Pourquoi les banques centrales sont-elles devenues indépendantes ?

Les années 80 et 90 voient se dissiper une incompréhension plus que séculaire entre le monde universitaire et celui des banquiers. Certes, Ricardo avait la double casquette. Mais, dans la suite, les deux mondes communiquent mal. Par exemple Walter Bagehot, un des commentateurs influents de la politique de la Banque d\'Angleterre à la fin du 19ème, n\'était nullement économiste. Plus récemment, la recommandation de Milton Friedman, que la Banque fédérale contrôle la masse monétaire, recevra un accueil poli et sceptique, le même qu\'avait reçu, au début du 20ième siècle, Irving Fisher pour une proposition quelque peu analogue.Le vecteur de la grande réconciliation des années 90 est la « règle de Taylor » du nom de l\'économiste de Stanford qui l\'a proposée. Elle organise le rôle de la banque centrale autour du contrôle des taux d\'intérêt nominaux : une formule simple indique comment durcir la réaction face à l\'accroissement d\'inflation, même si elle reste vague sur le ciblage de l\'inflation, et comment l\'assouplir si l\'activité économique se réduit.La proposition s\'appuie initialement sur une analyse empirique, susceptible de rencontrer l\'intuition des banquiers centraux : ce sera le cas. Elle pacifie aussi les relations entre économistes de sensibilité opposées, en évitant les sujets difficiles, la relation monnaie finance, ou ceux qui fâchent. Ultime bénédiction, elle trouvera un relai théorique qui la fait dériver de considérations sophistiquées sur les anticipations. Voilà donc banquiers centraux et universitaires de (presque) tous bords apparemment réconciliés. Corollaire : le rôle de la Banque centrale version « règle de Taylor », certes toujours important, est en quelque sorte technique. Et comment la confier à un Gouvernement si prompt à céder aux pressions ! Que les banques centrales prennent donc leur indépendance...Mais voilà l\'indépendance acquise, la période change. Dans le tumulte de la crise, le bon temps de la règle de Taylor est révolu. C\'est le moment du « quantitative easing », aux Etats Unis et en Europe de la prise de liberté avec le mandat, dans les deux cas avec un acquiescement explicite ou implicite du politique. Mais les interactions entre marchés financiers et monétaire qui reviennent au centre de l\'actualité, relativisent, c\'est un euphémisme, la règle de Taylor. Et une politique monétaire à grand rayon d\'action cesse d\'être neutre, avec par exemple, des effets significatifs sur la redistribution du revenu. Voilà donc la Banque Centrale indépendante, mais au centre d\'un territoire très élargi et avec un mandat devenu vague.Les mauvais esprits noteront qu\'un des piliers de l\'argumentaire antérieur pour l\'indépendance s\'est délité. Ce qui irritera sans doute les bons esprits, qui tendent à voir dans l\'invocation de la démocratie une lubie des empêcheurs de gérer en rond._______* Roger Guesnerie, président de PSE-Ecole d\'économie de Paris. Titulaire au Collège de France de la chaire intitulée théorie économique et organisation sociale
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