Un « roman de la crise » sans nuances

L'émission programmée hier soir, mardi 11 janvier, sur France 2 à 20 h 35 avait pour titre « Fric, krach et gueule de bois ». Un titre qui inaugure mal la nouvelle année tant le pessimisme naturel des Français y trouvera son compte. En effet, ce film a pour prétention d'expliquer l'économie avec un désir de pédagogie teinté d'une idéologie socialiste affirmée et revendiquée. Cette vision proposée est la garantie de nous enfoncer encore un peu plus dans la dépression.L'objectif est clair dès le début : prouver, documents de l'INA à l'appui, que l'économie mondialisée ne mérite qu'une condamnation sans appel. Le montage du film est parfait, calculé pour faire passer un anticapitalisme prégnant. L'indignation des commentateurs supposés être des témoins objectifs s'exprime à chaque plan et à chaque prise de parole. La voix de Pierre Arditi frémit d'un étonnement indigné à chacune des questions sur un système qui laisserait toujours les travailleurs sur le carreau en les sacrifiant, ruinerait les épargnants et propagerait une injustice scandaleuse... Erik Orsenna tente de ne pas sombrer dans la caricature du procès à charge mais le montage ne lui laisse aucune chance. La haine de l'argent suinte à chaque instant, et la question « combien gagnez-vous ? » devient le symbole de la déchéance des valeurs humaines face à l'argent. Ce film est particulièrement pernicieux en ce moment où le capitalisme est à un tournant, qu'il est nécessaire de promouvoir une nouvelle éthique et de corriger des excès... Les téléspectateurs ne demanderont qu'à croire à ce scénario catastrophe, dans lequel les chemins qui nous ont amenés au krach immobilier et financier étaient pavés de mauvaises intentions. On développe la théorie du complot en affirmant que l'inéluctable était prévisible depuis des années, que seul le cynisme de quelques-uns en est à l'origine. Parallèlement à cette accusation, on promeut un État salvateur qui seul sait ce qu'il faut faire, qui seul peut protéger les salariés, qui seul peut nous préserver de la pollution financière. Seul l'État en France pourrait être le garant des emplois et aurait pu éviter l'anéantissement de l'industrie... Pour la démonstration, des documents accusent François Mitterrand lui-même d'appartenir à la catégorie des destructeurs de richesses, inféodés par le secteur privé. Mêmes documents d'archives, soigneusement sélectionnés pour mettre Margaret Thatcher et Ronald Reagan au banc des accusés et des criminels économiques historiques ! Images encore à l'appui : grévistes brisés et affamés assis sur les trottoirs le visage ravagé par la douleur. Pas une seconde on ne laissera entendre que, au passage, ils ont à l'époque sauvé leurs pays de la catastrophe économique. L'Angleterre était au bord de la faillite et c'est bien grâce à certaines réformes inéluctables qu'elle a connu une croissance qui aura duré une trentaine d'années. Les années Reagan ont été également une formidable rampe de lancement économique, mais de cela, pas un mot.Quant à la catégorie des patrons, ils sont représentés sous les traits de Bernard Tapie, Jean-Marie Messier ou du président de JP Morgan, tous filmés les yeux exorbités par la cupidité et proférant des propos indécents avec une gloutonnerie avérée et en gros plans. Avec une telle sélection, avant la fin du film, on est prêt à conduire en place de grève ces ennemis du peuple que sont tous les patrons !Pas un mot sur l'esprit d'entreprendre, sur le rôle vital des entreprises (qui financent ces fameux États modèles en faillite aujourd'hui), pas un mot non plus sur les dettes exorbitantes des pays, pas un mot sur les retraites non financées. Pas une seule séquence mesurée pour se demander avec objectivité et modestie comment aborder un tournant difficile de l'économie mondiale. Un refus d'expliquer les responsabilités internationales partagées ou la faillite des protections sociales illimitées. De simples diktats primaires comme recettes : « Un patron ne devrait pas gagner plus de 20 fois le salaire le plus bas de ses salariés. » Ah bon ? Pourquoi pas ! Mais comment ? Et dans quels pays ? Et la différence entre un entrepreneur et un manager ? Il faudrait également bannir ces ignobles profits boursiers ? Et pas un mot sur l'utilité des actionnaires qui financent les entrepreneurs, créateurs de richesses nulle part mentionnés comme les acteurs indispensables de la croissance mondiale.Un film bien réalisé, intéressant, ce qui rend encore plus gênante la manipulation idéologique sur un terrain facile. Une démagogie qui surfe sur le climat ambiant avec une bonne conscience absolue. C'est d'autant plus grave que la dernière partie du film sur le mécanisme de la crise récente des subprimes est assez réaliste et objective, en décrivant l'effondrement systémique à un instant T d'une économie paradoxalement en trop forte croissance. Voilà qui va du coup valider dans l'esprit du téléspectateur toute la première partie du film.Une émission qui confortera tous ceux qui veulent des coupables désignés et qui pensent que faire payer les riches jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus, est la solution finale. À la fin, Muhammad Yunus apparaît comme le « sauveur » car il fallait un soupçon de « happy end ». Il est promu comme seul modèle possible pour la planète, en oubliant de spécifier qu'il a inventé le crédit pour les plus pauvres pour mettre son pays sur la voie du capitalisme et aussi parce qu'il avait pu s'enrichir avant, grâce au « système » tant décrié.
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