Banques centrales : tirer les leçons de la crise

La BCE a annoncé le 7 avril qu'elle relevait son taux directeur d'un quart de point (ce qui le porte à 1,25 %) afin de contrer les tensions inflationnistes dans la zone euro. Cette décision était attendue. Pour autant est-elle justifiée dans le contexte économique actuel ? La réponse n'est pas évidente. En effet, la cause directe du regain récent d'inflation est la hausse des prix des matières premières. Ce qui est une cause non monétaire et externe à la zone euro contre laquelle la politique monétaire est impuissante. D'autant que, du fait de la désindexation des salaires sur les prix, les risques d'une inflation du « second tour » sont très faibles. Il y a toutefois une deuxième analyse possible de la montée des prix des matières premières avec ses effets inflationnistes. C'est qu'une partie de cette hausse tient à la spéculation, alimentée par la création importante de liquidités découlant des politiques de « quantitative easing » menées par la Fed et la BCE. La hausse des taux serait alors un signal envoyé aux marchés par les banques centrales, même si ces dernières ne reconnaîtront sans doute jamais leur responsabilité indirecte dans les dérapages des prix... Quoi qu'il en soit, l'épisode actuel illustre l'évidence du lien entre la politique monétaire et l'instabilité sur les marchés. La crise des subprimes a en effet démontré que, en se focalisant exclusivement sur la stabilité monétaire, c'est-à-dire la lutte contre l'inflation, les banques centrales ont encouragé à leur insu la prise de risque (en particulier celle des banques) et ont ainsi favorisé les phénomènes de bulles (immobilier). Pendant les années qui ont précédé la crise, l'inflation était faible et la croissance régulière ; cet épisode a été qualifié de « grande modération ». Les banques centrales ont alors commis deux erreurs : d'abord celle de considérer que ce résultat était principalement le fait de la politique monétaire, alors qu'il a eu des causes largement non monétaires, en particulier les pressions sur les prix et les salaires exercées par la mondialisation ; deuxième erreur : les banques centrales ont cru que la stabilité monétaire conduisait automatiquement à la stabilité financière. Or, comme le montre le « paradoxe de la tranquillité » de l'économiste keynésien Hyman Minsky, les phases de calme et de conjoncture favorable amènent les acteurs économiques à prendre des risques importants, à l'origine, ensuite de crises financières. S'il est donc une leçon à tirer de la crise, c'est que la stabilité financière mérite de la part des banques centrales autant d'attention que la stabilité monétaire.Rédigé à partir d'un questionnaire envoyé aux banquiers centraux et aux superviseurs, d'une part, et aux économistes de banque et universitaires, d'autre part, un nouveau rapport du Conseil d'analyse économique examine les réformes à envisager . Si tous les « sondés » considèrent que les banques centrales doivent poursuivre un objectif de stabilité financière, complétant celui de stabilité monétaire, des désaccords persistent quand on entre dans le détail : sur la question de rehausser l'objectif d'inflation, ou sur les stratégies (remplacer le ciblage d'inflation par le ciblage du niveau général des prix). Contrairement aux économistes, les banquiers centraux n'expriment plus guère, alors, de volonté de changement. Nous plaidons quant à nous pour une transformation profonde du rôle des banques centrales. Leurs missions doivent être élargies à la conduite d'une politique de surveillance globale du système financier dite macroprudentielle, au moyen d'instruments adéquats : en particulier des réserves obligatoires progressives sur les crédits et des ratios exigeant plus d'apport des emprunteurs pour réguler la croissance du crédit dont l'emballement est toujours à l'origine des crises financières graves. La banque centrale est l'institution la mieux placée pour prendre en charge la politique macroprudentielle. En tout cas bien mieux placée que les autorités de supervision dont la culture est celle du contrôle des risques individuels, pas celle du risque systémique. Certes, si la banque centrale endosse, en plus de la stabilité monétaire, une mission de stabilité financière, cela fera d'elle une institution plus puissante encore. Trop de pouvoirs pour une seule institution ? Non, si l'on exige en contrepartie que la banque centrale explique, communique, rende des comptes, partage ses informations et coopère avec les autres institutions en charge de la stabilité financière, et que ces exigences l'aident à résister aux pressions que peuvent être tentés d'exercer sur elle tant les acteurs publics que privés. La tâche n'est pas aisée certes, l'art du « central banking » sera sans doute à l'avenir plus compliqué que par le passé. C'est le prix pour une plus grande stabilité financière.
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