Ces Anglais qui s'attaquent au champagne !

/>La blague d'été, autrefois, était qu'en enfer le vin serait anglais. Mais les saisons ne sont plus les mêmes... à tel point qu'aujourd'hui le english wine (fait en Angleterre à partir de raisins locaux) commence à acquérir une certaine renommée. Surtout le sparkling, c'est-à-dire le pétillant, que parfois l'on compare même au champagne.Une telle témérité, évidemment, ne s'explique pas que par les bulles. Bien de vins effervescents sont produits dans d'autres pays, comme les spumante et prosecco italiens ou le cava espagnol. Or, ces derniers n'utilisent pas les cépages caractéristiques de la Champagne (pinot noir, pinot meunier et chardonnay). Ce qui est  en revanche le cas du sparkling english wine, qui partage d'ailleurs un élément de plus avec les plus nobles des bulles françaises: le sol calcaire, typique du Sud de l'Angleterre tout comme du Nord-Est de la France. Si l'on prend aussi en compte une certaine proximité géographique (le Kent et le West Sussex, d'où viennent les meilleurs vins pétillants anglais, se trouvent à seulement quelques centaines de kilomètres de la Champagne), ainsi que le changement climatique que connaît aujourd'hui l'Angleterre, on comprend bien les raisons du parallèle, comme de l'investissement croissant des vignerons anglais dans le pétillant.Du muller-thurgau aux cépages du champagneLe vin anglais traverse en effet une véritable révolution. Les premières bouteilles produites et commercialisées en Angleterre, après une interruption remontant à la Première Guerre mondiale, datent de 1955 et celles de la variante pétillante des années 60. Mais en raison du climat, les premiers cultivateurs préféraient des variétés qui mûrissent rapidement, peu propices à des vins de qualité, comme le bacchus et le muller-thurgau. C'est seulement depuis les années 80 que certains vignerons ont introduit les cépages du champagne. Et depuis 1984, les surfaces cultivées au raisin ont plus que triplé, passant de 430 hectares à 1384 hectares en 2011, année où la Wine Standard Branch dénombrait 419 vignobles en Angleterre. En 2010, pour la première fois, plus de la moitié des récoltes ont été utilisées pour produire du sparkling wine. Et les cépages propres au champagne représentent désormais presque 50% des cultures.La progression n'est d'ailleurs pas seulement quantitative. En 2013, les vins anglais ont gagné quatre médailles d'or à l'International Wine Challenge (IWC), dont trois pour du vin pétillant, ainsi que 19 médailles d'argent et 25 de bronze. Selon un critique du magazine Evening Standard, Andrew Neather, le meilleur vin pétillant anglais serait aussi bon qu'un champagne correct, et celui le plus vendu au Royaume-Uni, commercialisé à 30 livres sterling, serait plus intéressant qu'un champagne vendu (hors discounts) à 33 livres sterling.Selon Fabrice Tessier, membre de la revue spécialisée Le Rouge & Le Blanc, «parler de concurrence avec le champagne serait néanmoins prématuré. Tout d'abord parce que les tailles des vignobles champenois et anglais ne sont pas comparables. Ensuite, en raison de la tradition plus que centenaire de la France et de la  lecture de ses sols,  qui ne peuts'acquérir en quelques années et qui est une spécificité qualitative de la Champagne». De surcroît, les producteurs, dont les investissements dans des vignobles ou procédés nouveaux sont souvent récents, ont besoin d'un rendement rapide, ce qui les empêche de laisser le vin vieillir très longtemps.La taille des vignobles explique aussi une différence nette de volumes : 3 millions de bouteilles par an pour l'ensemble du vin anglais en 2011, contre plus de 300 millions de bouteilles de champagne. Au Royaume-Uni, en 2011, le english wine ne représentait encore que 0,14% de l'ensemble des ventes de vin, selon l'organisme English Wine Producers. Malgré le changement climatique, la météo reste d'ailleurs une menace: la BBC cite l'exemple du plus grand domaine, Nyetimber, qui en 2012, après un été horrible, aurait été obligé de jeter toute sa récolte.Un marché en plein essorIl n'empêche : le sparkling english wine, doucement, s'impose. Selon la BBC, au Royaume-Uni la demande interne, probablement portée par le nouvel engouement pour les produits locaux, voire par un certain patriotisme, commence à dépasser la production. En douze ans, la maison Chapel Down aurait multiplié par huit ses ventes de brut non millésimé et par trois fois ses prix. En 2012, selon The Independent, les ventes de sparkling english wine ont été propulsées par les Jeux olympiques et les célébrations des soixante années de règne d'Élisabeth II. English wine producers espère qu'en 2015 la production de sparkling wine dépassera les 5 millions de bouteilles, en atteignant ainsi 1/8 du volume des importations de champagne au Royaume-Uni et 100 millions de livres sterling de ventes au détail.Les maisons anglaises semblent aussi de plus en plus se tourner vers les marchés internationaux. «Leur présence au grand salon mondial ProWein de Düsseldorf, qui a attiré  plus de 40000 visiteurs en trois jours, n'est pas anodine», observe notamment Fabrice Tessier. Des sociétés comme ESW Exports sont spécialisées dans l'exportation du sparkling. Même la famille royale s'en mêle. Camilla, la duchesse de Cornouailles - qui, en plus d'être l'épouse du prince Charles, descend d'un commerçant de vin et préside l'Association de vignobles du Royaume-Uni (United Kingdom Vineyards Association) - a suggéré aux producteurs de trouver un vrai nom pour le pétillant anglais, qui lui confère une aura comparable à celle du champagne.Cependant, en France, l'essor des nouvelles bulles d'outre-manche semble encore se heurter à une certaine résistance culturelle. «Sur le marché français le sparkling english wine est difficile à trouver, sans doute parce qu'il n'est pas très connu, y compris parmi les professionnels. Ceux qui l'apprécient craignent probablement de ne pas réussir à convaincre», analyse Fabrice Tessier: «Le plus prometteur que j'ai goûté était d'ailleurs une version non dosée d'un sparkling qui sera malheureusement commercialisée à 9g de sucre, le non dosé étant trop sec pour le goût anglais». Shocking! Du moins pour les Français.
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