La France a-t-elle encore un avenir industriel ?

"Quand on ne sait pas où on va, tous les chemins mènent nulle part", disait déjà Henry Kissinger. Il fut un temps où la France avait une haute idée de son destin, une époque où nos dirigeants, faisant fi des clivages idéologiques de la guerre froide, avaient une conception exigeante du futur de leur nation. La politique industrielle s'inscrivait pleinement dans cette ambition. Il y eut une politique industrielle pompidolienne avec un second Président de la République fin connaisseur de Sénèque: "Il n'y a pas de vents favorables pour celui qui ne sait pas où il va " nous enseigne le philosophe. Cette ambition a été passée par pertes et profits deux décennies plus tard au seul motif que les marchés devaient décider de l'allocation optimale des ressources, et à la suite de certains échecs de la planification à la française (informatique notamment). Si c'est en effet notre conviction que seuls les entrepreneurs, les industriels et innovateurs peuvent créer de la richesse et de la valeur ajoutée, et si la détention directe de parts dans des entreprises industrielles par l'Etat est une voie sans avenir, nous voulons insister sur la nécessaire revalorisation du rôle d'un Etat stratège en matière industrielle. L'Etat a un rôle à jouer pour assigner le cap général en vertu de ses objectifs sociétaux et économiques. Nous plaidons dans notre futur rapport pour un Etat réactif en matière de prospective, à l'aune de nos expériencesà l'étranger, et du succès en la matière de certains pays comme l'Australie et plus récemment les Etats Unis. La France déplore son déclassement industriel, attesté par la perte de 800 000 emplois industriels en dix ans (10% des effectifs), un secteur industriel ne représentant plus que 16% de la valeur ajoutée (alors que la moyenne européenne se situe à 22.4%, évidence qu'il n'y a pas que l'Allemagne qui ait maintenu son statut industriel parmi nos voisins) et un déficit commercial de l'ordre de 70 milliards d'euros en 2011.Nous, Français de l'étranger, savons que l'histoire des nations n'est pas linéaire, que leurs destins économiques ne sont pas gravés dans le marbre. Nous, vivant en Australie, avons vu très tôt le pari du gouvernement sur une symbiose avec la Chine. Nous, vivant aux Etats Unis, avons connu une forme de renouveau industriel américain fondé sur des partenariats avec l'Etat et une énergie locale peu chère. Nous, vivant en Allemagne, bénéficions du soutien sans faille du gouvernement au Mittelstand et aux myriades de PME à l'export.La France doit reprendre le contrôle de son destin industriel et sa dérive face à nos concurrents n'est pas une fatalité inéluctable. Avant même de remettre à plat le modèle français, nous pouvons enrayer cette désindustrialisation en traitant immédiatement deux problèmes: le manque de financement et l'absence de travail de prospective, notamment sur les secteurs de spécialisation. Notre rapport est jalonné de mesures concrètes sur ces deux domaines qui ne demandent qu'une impulsion du politique et une collaboration privé (entrepreneurs)/ public.Terminons ces propos liminaires par une dernière citation : "il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l'avenir". François Mitterrand. Quoi de plus actuel. >> Rapport : « L'Avenir de l'Industrie Française » / Etude n°1 - Octobre 2012 / PDFSous la direction de Sébastien Laye. Secrétaire général, co-fondateur de Génération Expat. Directeur du pôle "Economie & Industrie", New York. Avec la participation de: Mikå Mered, Columbia University, New York ; Nicolas Panis, Polytechnique/Princeton, Londres ; Aurélia le Tareau, Consultante en Stratégie, Montréal._________>> Pour en savoir plus : les 33 propositionsProposition 1 : Créer un nouveau statut de l'actionnaire de long terme, accessible pour tout investisseur individuel ou institutionnel, pouvant justifier de deux années continues de détention de 1% au minimum du capital d'une société. Ce statut sera accessible par constitution d'une demande auprès de l'Autorité des Marchés Financiers.Proposition 2 : Etablir une fiscalité sur les gains en capital spécifique à ces investisseurs, fixée à 30% (maximum tout prélèvement libératoire, social et autres inclus) la troisième année, puis de manière dégressive avec le passage des années, 25%, 20% et 15% afin de favoriser des blocs détenus au moins cinq années durant.Proposition 3 : Ouvrir la possibilité, à ceux des actionnaires enregistrés comme actionnaires de long terme auprès de l'AMF (cf. proposition1) et qui disposent de capitaux permanents (ce qui exclut des gérants d'actifs de tiers), de posséder jusqu'à 50% du capital d'une société en Bourse sans avoir à déclencher une Offre Publique d'Achat (OPA).Proposition 4 : Créer une commission d'étude du trading de haute fréquence avec des praticiens sur Paris, Londres et New York pour envisager des mesures concrètes pour stabiliser l'actionnariat industriel sur le court terme.Proposition 5 : Tout financement accordé par la BPI en fonds propres devrait être accompagné d'un investissement par un acteur non public, afin d'optimiser la sélection des dossiers.Proposition 6 : Favoriser la création par des entrepreneurs/institutionnels, de plateformes de marchés privés, antichambres à la Bourse, permettant aux grosses PME, sociétés innovantes et ETI, de lever des fonds ou d'offrir de la liquidité aux fondateurs, par transactions privées et standardisées avec des investisseurs accrédités.Proposition 7 : Créer un nouveau statut pour les fonds mezzanines opérant à 80% de leur activité en France au minimum et installés sur le territoire français, en défiscalisant un quart de la prime de performance (carry) touchée par les gérants, et en créant des partenariats BPI/ Fonds Mezzanine.Proposition 8 : Créer une nouvelle catégorie de société de crédit industriel, les BDC (Business Development Corporation) à la française, par partenariat avec les pouvoirs publics. Les BDC, créées et gérées par des entrepreneurs financiers privés, lèveront des fonds propres en Bourse par appel à une épargne publique attirée par un haut rendement du dividende, et de la dette auprès de la BPI, les institutions bancaires et internationales (fonds souverains). Elles octroieront des prêts aux projets les plus risqués des grosses PME et ETI françaises seulement, contre un coupon de l'ordre de 7%, et les accompagneront sur 8-10 ans. Des secteurs à fort effet multiplicateur en termes d'emplois et de valeur ajoutée seront ciblés dans la législation sur les BDC: aéronautique, automobile, défense, fret maritime, transports, énergie et service associés, mines, matériaux, machines-outils.Proposition 9 : Reprendre le programme de désengagement des participations minoritaires de l'Etat dans des entreprises industrielles et permettre à des entrepreneurs français de redresser et développer en France et à l'international ces entreprises. Programme pluriannuel (4 ans) de désengagement par le FSI et l'Agence des Participations de l'Etat à hauteur de respectivement 3.5 et 6.5 milliards d'euros: intérêts dans Vallourec, CGG Veritas, Eramet, Areva Mining Uranium, Renault,... et reconfiguration de ces entreprises avec des industriels ou institutionnels français.Proposition 10 : Réorienter le FSI vers deux missions: le financement de l'innovation technologique (capital-risque de sociétés matures en partenariat avec les fonds classiques) et la restructuration des compagnies industrielles en difficulté.Proposition 11 : Créer un Conseil de la Recherche et de la Prospective, rattaché à la Présidence de la République, aux fins (1) d'intégrer les grandes lignes de la recherche fondamentale française et les objectifs du politique ; et (2) de définir de manière rationnelle les spécialisations industrielles et les modalités de partenariats public/privé pour développer ces secteurs.Proposition 12 : Rétablir l'ANVAR (Agence nationale de valorisation de la recherche) et la placer sous l'égide du nouveau Conseil de la Recherche et de la Prospective. Accueillir des industriels et des chercheurs du privé au sein de ces deux organismes.Proposition 13 : Piloter un effort national en mathématiques fondamentales, en renforçant son enseignement et ses centres de recherche, en favorisant l'émergence d'un nouveau statut de Fondation Mathématique pour encourager les donations privées, et en travaillant en partenariat avec les industriels des secteurs aéronautiques, militaires, et mécaniques.Proposition 14 : Immédiatement lancer 10 projets industriels appliqués d'envergure par appel au privé/concours, avec prix à destination des entrepreneurs (E1mln) et financements.Proposition 15 : Encourager les fondations de droit privé à la prise en charge de la scolarité de jeunes scientifiques via l'octroi de bourses spécifiques uniquement sur mérite.Proposition 16 : Introduire dans le calcul des bourses universitaires, un coefficient augmentateur pour les étudiants avec un solide projet entrepreneurial, et pour les étudiants dans le domaine scientifique.Proposition 17 : Rendre gratuite la scolarité en doctorat scientifique.Proposition 18 : Réfléchir, dans le cadre du futur fonds Qatari pour les banlieues, à des aides spécifiques pour encourager les vocations scientifiques dans ces milieux.Proposition 19 : Créer de véritables Universités d'Excellence généralistes, par regroupement de grandes écoles et universités, au-delà des simples pôles actuels et collaborations ponctuelles.Proposition 20 : Créer des programmes de type HEC Entrepreneurs dans chaque formation scientifique, y compris parmi les doctorats.Proposition 21 : Réfléchir à une séparation du financement de la partie dépendance de la protection sociale vs la partie assurance.Proposition 22 : Créer un Bureau des Droits des PME, et associer cet organe consultatif au travail règlementaire et parlementaire afin d'identifier ex ante les mesures dans les textes généraux qui pourraient créer des problèmes d'application pour les PME.Proposition 23 : Créer une Agence du Financement Industriel des PME, rattachée à la BPI et structure de tête d'OSEO (partie publique des fonds), afin de rationaliser le processus décisionnaire public/privé d'aides aux PME.Proposition 24 : Repenser les dispositifs ISF/TEPA et Madelin en fusionnant les deux systèmes d'incitation fiscale en un dispositif unique, engendrant déductibilité sur tous les impôts et toute la base imposable, pas uniquement l'ISF.Proposition 25 : Etablir une distinction fiscale entre les business-angels en phase d'amorçage et les business-angels en phase de revenus, sur le modèle du Royaume Uni.Proposition 26 : Etablir une distinction fiscale entre l'investissement direct dans une entreprise et l'investissement dans un fonds d'amorçage FCPI.Proposition 27 : Créer un Guichet Unique en ligne pour la création d'entreprises, sur le modèle du Companies House britannique.Proposition 28 : Lancer un effort massif de numérisation de l'administration française pour rationaliser les près de 700 sites en gouv.fr. Unifier leurs chartes graphiques, éviter les redondances de contenus et les informations peu adaptées. Ouvrir des systèmes de messagerie instantanée privée sur ces sites accessibles aux individus âgés, handicapés, ou vivant trop loin des administrations physiques.Proposition 29 : Permettre l'essor de l'exploitation pétrolière offshore en Guyane.Proposition 30 : Créer un sous-véhicule au FSI pour financer de nouvelles entreprises d'exploitation pétrolière ou minière cruciales pour les intérêts français (du fait de leur géographie ou de la nature de la ressource).Proposition 31 : Envisager l'adossement d'Areva Mining et d'Eramet à de nouvelles structures entrepreneuriales (sortie de l'Etat) à un horizon de trois ans.Proposition 32 : Réorienter les vieilles industries textiles au-delà du pur débouché vestimentaire, vers les applications professionnelles et innovantes.Proposition 33 : Création d'un label AOP (Appellation d'Origine Protégée) pour les marques artisanales françaises de qualité avec un savoir-faire dans la fabrication.
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