Une Banque d'Angleterre renforcée par la crise

En votant en mai dernier, les Britanniques croyaient avoir confié leur destin aux mains de David Cameron, treizième Premier ministre de Sa Majesté Elizabeth II. Ils se sont trompés. Celui qui a vraiment le pouvoir est un certain Mervyn King, professeur d'économie à la mèche blanche savamment coiffée sur le côté, et par ailleurs gouverneur de la Banque d'Angleterre.Une exagération?? Non, David Cameron lui-même le reconnaît, en mode codé. « Je suis un conservateur budgétaire, mais un activiste monétariste. » Traduction?: « Je me charge de couper le déficit violemment, et n'ayant ainsi plus aucune marge de manoeuvre budgétaire, je confie à la Banque d'Angleterre le soin de stimuler l'économie. » Petit détail au passage?: comme tous les Premiers ministres depuis 1997, ce n'est pas lui qui a la charge de déterminer la politique monétaire. La responsabilité revient au comité de politique monétaire (CPM), composé de neuf sages, présidé par le gouverneur de la Banque d'Angleterre. C'est donc bien sur les épaules de Mervyn King que repose le sort des quelque 60 millions de Britanniques.Pauvre Mervyn King?! En 2000, alors qu'il était alors vice-gouverneur de la Banque d'Angleterre, il avait affiché une ambition?: être ennuyeux. Par cela, il voulait faire comprendre que l'objectif d'une banque centrale est de ne jamais surprendre, les marchés ayant horreur des surprises. À partir de 2003, quand il a pris la tête de la Banque d'Angleterre, il a donc entrepris de prévenir très clairement des intentions du CPM, à coups d'un quart de point de hausse ou de baisse des taux d'intérêt. Depuis 2007 cependant, l'ennui a été oublié.Le premier coup de semonce, pour cet homme qui pourrait aisément passer incognito dans les rues de la Grande-Bretagne, est parti le 14 août 2007. Ce jour-là, Mervyn King est alerté en privé des difficultés financières de Northern Rock, un petit établissement financier présent essentiellement dans le nord de l'Angleterre. Mais il ne réagit guère. Un mois après, en plein week-end, quand Northern Rock lui demande une aide financière d'urgence, Mervyn King accepte. Mais il se laisse surprendre par la panique populaire provoquée par cet appel au secours. Quelques semaines plus tard, il se retrouve sous le feu des critiques?: face à un comité parlementaire, il est accusé de « dormir au volant ».La crise met à jour un phénomène auquel presque personne n'avait pris garde. Le système britannique financier « tripartite » avait un « trou »?: entre la Banque d'Angleterre, la Financial Services Authority (FSA, le régulateur financier britannique), et le Trésor, personne ne savait qui était en charge en cas d'urgence. « Mervyn King n'a pas réalisé initialement à quel point le système financier était fragile et a dû apprendre très vite », estime Charles Goodhart, ancien membre du comité de politique monétaire.Depuis, Mervyn King s'est rattrapé. Il a participé activement au sauvetage bancaire opéré fin 2008 par Gordon Brown, alors Premier ministre, nationalisant partiellement Lloyds Banking Group et Royal Bank of Scotland. Dans le même temps, entre octobre 2008 et mars 2009, avec le comité de politique monétaire, il a fait passer les taux d'intérêt de 5 % à 0,5 %, au plus bas depuis la création de la Banque d'Angleterre en 1694. Puis, il s'est jeté dans l'inconnu, suivant le Japon et les États-Unis dans l'assouplissement monétaire quantitatif. Derrière ce nom barbare se cache l'achat de bons du Trésor par la Banque d'Angleterre. L'objectif est ainsi de détendre les rendements obligataires, faisant baisser les taux d'intérêt réels pour les banques. Au total, la Banque d'Angleterre a ainsi injecté 200 milliards de livres (230 milliards d'euros), l'équivalent d'un tiers du budget annuel de l'État britannique.Est-ce que cela a marché?? Le bilan semble mitigé. « Le lien entre l'assouplissement quantitatif et l'économie réelle reste ténu », ajoute Keith Wade, chef économiste chez Schroders. Néanmoins, personne ne jette la pierre à la Banque d'Angleterre. Celle-ci a clairement essayé tout ce qui était en son pouvoir pour relancer l'économie. C'était osé, dans la mesure où l'inflation est régulièrement au-dessus de 3 % depuis trois ans, tandis que l'objectif officiel de la Banque d'Angleterre est de 2 %. « La Banque d'Angleterre n'a pas suivi son mandat, estime Chris Williamson, économiste à Markit, société spécialisée dans les données financières. Économiquement, elle a eu raison. Mais cela va finir par poser un problème. À force d'affirmer qu'elle se concentre sur l'inflation, mais de clairement agir différemment, elle risque de perdre en crédibilité. »Pourtant, malgré ce danger, personne ne s'attend à ce que la Banque d'Angleterre ne remonte prochainement ses taux. Un membre du CPM appelle même publiquement à une nouvelle injection d'assouplissement monétaire quantitatif. C'est sur la Banque d'Angleterre que repose l'espoir d'éviter un retour à la récession. Par ailleurs, la « vieille dame de Threadneedle » va être consolidée. Le gouvernement conservateur, tirant les leçons de Northern Rock, va lui transférer la majorité des pouvoirs de la FSA d'ici deux ans. La Banque d'Angleterre sera désormais en charge de la stabilité financière. C'est aussi elle qui va superviser les banques.Le paradoxe est donc complet. Pour n'avoir pas vu venir la crise, la Banque d'Angleterre en ressort avec plus de pouvoirs. « La crise l'a renforcée », souligne Charles Goodhart. Mais elle n'a plus le droit à l'erreur?: les Britanniques comptent sur elle pour relancer l'économie et surveiller le système. Mervyn King est le gouverneur le plus puissant de l'histoire récente de la Banque d'Angleterre. Il n'est pas près d'être à nouveau ennuyeux.Éric Albert, à Londres La semaine prochaine?: la Banque de Chine
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