petite et grande corruption

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Russie Nouvelle, le parti de Iouri Loujkov, qui est aussi celui de Vladimir Poutine, a remporté dimanche les élections au Parlement de Moscou avec deux tiers des suffrages exprimés. Difficile pourtant de parler de plébiscite, car seulement 30 % des électeurs se sont déplacés. Ces élections étaient jouées d'avance. Durant la campagne, les affiches du maire sortant ont monopolisé les murs de la ville, laissant juste un peu de place à l'ultranationaliste Vladimir Jirinovski, surnommé ici le « Clown », parce que son parti vote systématiquement les lois proposées par le Kremlin. Cette bienveillance ne lui a pas pour autant permis d'obtenir suffisamment de voix pour se faire élire. Les communistes étaient eux presque aux abonnés absents, tandis que le candidat de l'opposition libérale a été exclu du scrutin sous un prétexte ubuesque : il a été accusé d'avoir contrefait sa propre signature. Les Moscovites ne sont pas dupes. Juste blasés. Peu avant cette élection, un sondage réalisé par l'institut indépendant Levada révélait que seuls 3 % d'entre eux considèrent ce scrutin comme équitable. Iouri Loujkov, 73 ans, est maire de Moscou depuis 1991. En deux décennies, il a bâti un véritable État dans l'État. Moscou possède sa propre compagnie aérienne (Rossia), contrôle un empire médiatique et investit dans des projets immobiliers aux quatre coins du globe. Et, surtout, son premier magistrat est à la tête du plus gros budget municipal du monde avec 33,5 milliards d'euros en 2009, loin devant les 29,5 milliards d'euros de New York ou les 7,1 milliards d'euros de Paris. Septième mégapole du monde, Moscou compte officiellement 10,5 millions d'habitants, auxquels il faut ajouter deux à trois millions de personnes non enregistrées. Mais ce n'est pas de ces contribuables-là que la municipalité tire sa richesse. La splendeur du budget municipal tient à la forte proportion de sièges sociaux de grandes sociétés russes, y compris des pétroliers et des banques sur le territoire moscovite. On estime que la capitale pèse à elle seule 20 % du PIB russe.Dans un pays qui se caractérise par une absence complète de contrôle de la société civile sur les autorités, Iouri Loujkov abuse-t-il des pouvoirs que lui confère sa fonction ? Ses détracteurs l'accusent de confondre les finances municipales avec son porte-monnaie. Ils pointent notamment du doigt la fortune amassée par son épouse Elena Batourina, 45 ans. Inteko, sa florissante société de BTP, lui a permis d'amasser une fortune estimée dans le dernier classement du journal « Forbes » à 4,2 milliards de dollars. Il va sans dire qu'Inteko opère essentiellement à Moscou, où la société contrôle 20 % du marché du logement et 12 % du secteur de la construction, selon une étude publiée en août dernier par Boris Nemtsov, un ancien vice-Premier ministre russe. Le clan Loujkov comprend d'autres grandes fortunes. À commencer par Vladimir Evtouchenkov, 77e fortune mondiale avec 10 milliards de dollars et beau-frère d'Elena Batourina. Deux autres proches ont fait fortune sur le marché moscovite : Chalva Tchiguirinski, partenaire historique de Batourina, présent dans de nombreux projets immobiliers, et Telman Ismaïlov, un vieil ami de Loujkov, propriétaire du plus grand marché d'Europe (Tcherkizovo, à Moscou), récemment fermé sur ordre du Kremlin. Faute de pouvoir prouver l'origine douteuse de ces fortunes vite amassées, les opposants du clan Loujkov soulignent combien la corruption gangrène Moscou. Selon un sondage réalisé par les sociologues du fonds Opinion publique, 42 % des Moscovites ont déclaré avoir versé des pots-de-vin en 2008. Le fléau s'étend à tous les compartiments de la vie sociale. On verse un bakchich pour placer son enfant à la crèche (la liste d'attente dépasse les cinq ans), pour entrer dans une université prestigieuse (la somme dépasse les 5.000 dollars). À l'hôpital, on glisse un billet à l'infirmière pour obtenir un médicament antidouleur et pour qu'un accouchement se déroule sans problème, il est prudent de prévoir un pourboire de 2.000 dollars. « La corruption à Moscou a cessé d'être un problème ; elle est devenue un système », estime Boris Nemtsov. Les entreprises versent des sommes considérables pour échapper à l'inquisition bureaucratique pratiquée par d'innombrables « services » municipaux (commissions sanitaire, anti-incendies, sécurité, environnement, fiscale, etc.). Il est de notoriété publique que la principale source de revenus illégaux des fonctionnaires municipaux provient de subsides versés par des entreprises de construction. Le patrimoine des préfets de Moscou est sans rapport avec leurs salaires officiels. Selon l'ancien ministre du Développement régional Vladimir Iakovlev, la corruption représente en moyenne 30 % du coût final des bâtiments construits à Moscou. La politique du maire envers ceux qui vivent à Moscou sans y être nés, qu'on appelle ici les allogènes, constitue un autre vecteur de la corruption. Sous le prétexte que l'infrastructure moscovite n'est pas capable de supporter un afflux de population, Iouri Loujkov a maintenu dans la capitale un vieux règlement soviétique forçant tous les allogènes à s'enregistrer auprès des autorités à intervalles réguliers, bien que ce règlement contredise la Constitution russe. La procédure est longue, complexe et coûteuse mais, sans enregistrement, impossible de travailler légalement dans la capitale. D'où l'apparition d'innombrables agences privées semi-légales faisant l'interface avec les irascibles fonctionnaires moscovites à l'aide d'un bakchich. Les parois du métro moscovite sont recouvertes par leurs petites annonces collées à la va-vite proposant enregistrement, permis de travail, etc. La corruption a ainsi généré une florissante industrie des services. Le marché n'est pas négligeable : au moins deux ou trois millions d'allogènes ont besoin de ces services chaque année, services dont le coût unitaire dépasse la centaine d'euros. La situation moscovite indispose le Kremlin, qui n'a d'ailleurs jamais porté Iouri Loujkov dans son c?ur et qui juge son clan trop puissant et indépendant pour être vraiment loyal. Personne dans l'entourage de Vladimir Poutine n'a oublié qu'à la fin de l'ère Eltsine, Iouri Loujkov était considéré comme un prétendant sérieux à la magistrature suprême. Depuis, Kremlin et mairie de Moscou se regardent en chiens de faïence. Mais personne ne bouge. Le politologue indépendant Dmitri Orechkine estime que le Kremlin a peur de toucher à Iouri Loujkov en raison des risques politiques associés : « Les fidèles de Loujkov au sein de la mairie peuvent saboter le travail de son successeur. Il existe en outre un gros risque économique, car de nombreuses entreprises, voire même des industries entières, pourraient être paralysées par la rupture des ?accords informels? passés avec Loujkov, accords qui assurent la cohérence du système ». Les prochaines élections à la mairie de Moscou sont programmées pour 2012. nen 2008, 42 % des moscovites déclaraient avoir versé des pots-de-vins.Selon un ancien ministre, les pots-de-vin représentent 30 % du coût des bâtiments construits à Moscou.Il faut payer 5.000 dollars pour entrer dans une université prestigieuse.Et 2.000 dollars pour un accouchement sans douleur.
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