L'euro n'a pas besoin d'un supergouvernement

L'euro, répète-t-on, souffre d'une maladie congénitale. Il lui manque les deux attributs classiques d'une monnaie : un budget fédéral pour assurer la solidarité et un gouvernement économique pour harmoniser les politiques fiscales et sociales. Pour sortir de la crise, il faudrait aujourd'hui oser un vrai fédéralisme budgétaire et économique !La thèse a l'apparence du bon sens mais elle est à la fois fausse et dangereuse. Le problème originel de l'euro, c'est l'hétérogénéité des pays qui l'ont adopté. Nos vieux pays européens ne peuvent guère être comparés aux États américains de par leurs langues, leurs cultures, leurs modèles sociaux et familiaux, leurs structures économiques et démographiques, leurs choix collectifs, leurs niveaux de dépenses publiques...Une telle diversité ne fait pas obstacle à l'adoption d'une même monnaie en l'absence de véritable État fédéral. L'étalon or hier, le franc CFA ou le dollar de Hong Kong aujourd'hui montrent que des liens monétaires fixes peuvent unir des pays fort différents sans besoin d'un gouvernement commun. Mais cela n'est possible qu'à deux conditions :1. Une très stricte gouvernance monétaire.Pour l'euro, ce sont les règles de discipline budgétaire inscrites dans le marbre du Pacte de stabilité. Elles visent à ce qu'aucun pays de la zone euro ne vive au-dessus de ses moyens et aux crochets de ses voisins en laissant filer sa dette au-delà de sa capacité de remboursement.2. Une très grande flexibilité économique.Dans le cadre de monnaies nationales, les différences de compétitivité ou les chocs extérieurs sont amortis par des taux de change. Avec l'euro, cet ajustement par les changes devenant impossible, il faut lui substituer un ajustement par la variation des prix. Si un pays décroche, les prix de ses actifs, ses salaires, ses pensions et ses allocations doivent baisser, sinon en valeur absolue, du moins en valeur relative par rapport à des pays en plein essor.Or ces deux exigences intrinsèquement liées au bon fonctionnement de l'euro, n'ont pas été respectées. Les progrès dans la souplesse économique, la compétitivité et la concurrence, prévus dans l'agenda de Lisbonne pour faire de l'Europe la zone la plus compétitive du monde à l'horizon 2010, sont restés lettres mortes. Les disciplines budgétaires se sont progressivement relâchées et, fin 2003, la France et l'Allemagne se sont même coalisées pour empêcher l'application du Pacte de stabilité.Ce qui a manqué à l'euro, ce n'est pas un gouvernement commun mais une vraie police indépendante. Et les marchés financiers, dont c'est le rôle, ont manqué de vigilance en permettant d'emprunter à l'allemande pour dépenser à la grecque.La tempête financière mondiale a été le révélateur des faiblesses accumulées de l'euro. Pour faire face, on a accepté ce qui était hier impensable. Avec pragmatisme, la BCE rachète des obligations d'État. Un Fonds de stabilité a été mis en place pour assurer une solidarité budgétaire limitée, accompagné de procédures d'assistance temporaire à un État solvable et de procédures de défaut en cas d'insolvabilité. De tels mécanismes doivent être certes précisés, complétés (tout particulièrement en ce qui concerne la mise en oeuvre des procédures de défaillance) mais il serait profondément contre-productif de vouloir, dans une surenchère européenne hors de saison, profiter de la crise pour promouvoir un nouvel euro au fonctionnement calqué sur celui des monnaies nationales traditionnelles.La solidarité au sein de l'Europe n'a rien de comparable avec celle qui permet la coexistence dans une même nation de l'Île-de-France et la Guadeloupe, de l'Italie du Nord et du Mezzogiorno ou celle qui unit les États américains. Une solidarité d'ailleurs complétée par la mobilité interne de la population facilitée par l'usage d'une même langue.Il est chimérique d'imaginer un budget fédéral européen organisant des transferts financiers massifs pour compenser les différences de compétitivité. Tout comme il est chimérique de vouloir forcer la solidarité par l'émission d'obligations européennes communes. Les Allemands veulent bien payer pour leur réunification mais ils ne sont pas près d'accepter d'être les payeurs en dernier ressort des factures laissées par les pays mal gérés.Quant à l'idée d'« harmoniser », c'est-à-dire en fait d'uniformiser progressivement les politiques fiscales et sociales au travers d'un « gouvernement économique », il est clair qu'elle se heurte tant à l'exigence de souplesse et de concurrence de la zone euro qu'à la nécessité de faciliter les ajustements des différences nationales par des variations relatives de prix et des politiques budgétaires autonomes. De telles propositions, si elles étaient suivies, conduiraient assurément à l'explosion et de l'euro et de l'Europe. De grâce, que les politiques cessent ces surenchères ultra-européennes inopportunes, inutiles, cacophoniques et anxiogènes.ParAlain Madelin Ancien ministre
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