Au fil du fleuve des pharaons

La terrasse du Winter Palace, à Louxor, donne déjà un avant-goût d'une croisière sur le Nil : elle semble flotter sur le lit de verdure du jardin entourant l'hôtel, lieu de villégiature de nombreux « people » avant l'heure - d'Agatha Christie, qui y écrivit son célèbre roman « Mort sur le Nil », à Howard Carter, le découvreur de la tombe de Toutankhamon, en passant par Thomas Cook et... Nicolas Sarkozy. Avec, en cadeau, un persea : l'arbre préféré des élites régnantes, dont les feuilles reproduites sur les stèles dans les temples environnants portent les cartouches des pharaons. Il sera ce soir planté dans le jardin de l'hôtel. Comme pour parfaire la magie de la soirée, un faucon déchire d'un cri la voûte étoilée, tel l'Horus des Anciens, que l'on retrouvera bientôt sur les façades du temple d'Edfou. Le voyage dans le temps commence réellement après la visite de l'antique Thèbes : Karnak et ses immenses colonnes en forme de papyrus, ses hauts et bas-reliefs illustrant le voyage du pharaon vers l'au-delà, sur sa barque divine, celle d'Amon. L'eau de là, c'est l'embarquement sur un sandal, bateau traditionnel de transport sur le Nil, transformé en petit hôtel flottant, simple mais confortable, comme s'il fallait revenir à l'essentiel. Il n'y a rien à faire, qu'à se laisser porter par les vents, allongé sur le pont, à admirer le jeu des voiles, telles deux demi-lunes sur le ciel bleu. Pour monter au mât, ajuster les cordages, réorienter les voiles, les bateliers retroussent leur djellaba bleue entre leurs dents, exhibant sans le vouloir leurs jambes brunes. En cas de calme plat, c'est un remorqueur qui tire le sandal.Rien ne semble avoir changé, à part l'eau, limoneuse à l'époque antique, limpide depuis que le barrage d'Assouan emprisonne les alluvions en amont. Les palmiers défilent le long des berges, les paysans, ombres bleues sur les rives, partent aux champs, assis sur leur âne. Ils surveillent les manguiers qui ploient sous les fruits, arrosent leurs lopins de terre en puisant l'eau dans le canal perpendiculaire au fleuve ou pêchent à bord de leur petite barque. Sur les berges, dans la lumière filtrée par les feuillages, il fait déjà 35 degrés à l'ombre où stationnent les animaux, ânes et chameaux, entravés par une corde à la patte. Dans un village, limite entre désert de pierre et de sable et verdure de l'oasis au bord du fleuve, les femmes font du « pain de soleil » à la mie délicieuse, levée pendant cette heure d'attente où l'on prend un thé bien sucré en regardant les jeunes filles pétrir la pâte de la prochaine fournée. Un peu plus loin, les hommes se rendent au souk aux chameaux où des centaines de bêtes attendent preneur, pour environ 1.000 euros pièce. Elles ont mis quinze jours pour venir du Soudan, à cheminer le long des anciennes routes caravanières. Çà et là, au gré du voyage sur le fleuve, des temples, des tombes de dignitaires de l'époque pharaonique, des carrières, dont certaines pierres, en passe d'être éclatées avec des tasseaux de bois, sont restées là, gisantes, dans l'attente déçue de devenir un jour obélisque ou colosse. On croise le bateau qui a servi de décor au film « Mort sur le Nil », et quelques-uns de ces « immeubles flottants » sans âme, à plusieurs étages. De quoi apprécier le sandal, sur lequel le voyage se fait en famille, chouchoutée par l'équipage qui apporte prestement un thé bien chaud, dans la lumière de l'aube, pour laisser profiter le visiteur de l'esthétique du matin calme, des gréements qui palpitent près du mât, du soleil qui se lève, immuable sur le fleuve qui apporte la vie, éternelle.
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