Thierry Breton, Wael Ghonim et les « Internet killers »

Bloc-notesVous savez qu'à une époque Thierry Breton m'a passionné ? Je me fais un peu caustique, mais c'est vrai qu'en tant que ministre... comment dire... il n'a pas toujours su insuffler dans son discours le souffle de l'épopée. Et pourtant, il a vécu une autre vie, incarnée par un bouquin : « Softwar ». Je reste dans le souvenir d'un formidable roman de politique-fiction. C'était en 1984 et, pour la première fois dans le grand public, on expliquait ce que serait la guerre du futur, on prenait la mesure de la puissance du monde cybernétique (dans le sens du rôle qu'y joueraient les machines et les systèmes de communication). Ce livre-là, c'est bien Thierry Breton qui l'écrivait (et l'écrivait plutôt bien suivant ma mémoire).Pourquoi vous raconter tout ça ? Parce que le même Thierry Breton, la semaine dernière, est venu signer l'arrêt de mort de l'e-mail, et que son « track » record en matière d'anticipation me pousse à le prendre au sérieux. Chacun d'entre vous se reconnaîtra dans cette phrase : « Le volume d'e-mails que nous produisons et recevons n'est plus soutenable dans le domaine professionnel. » Il veut donc en tirer toutes les conséquences et supprimer intégralement, dans les trois ans qui viennent, les e-mails internes à l'entreprise Atos Origin, qu'il dirige aujourd'hui. Mais la réflexion va bien au-delà. Car ce qui se cache derrière l'utilisation effrénée du courrier électronique, c'est un mode de management qui est en train de détruire les liens au coeur de l'entreprise : « On envoie un mail et on a l'impression d'avoir réglé le problème, dit encore Thierry Breton, eh bien non, la seule façon de vraiment régler un problème, c'est de le faire les yeux dans les yeux. » Ce contact direct n'est évidemment pas possible dans les structures les plus importantes : faut-il donc les faire exploser ? Redonner toutes ses responsabilités au « middle-management » , prendre le risque de déléguer, encore et toujours plus ? Pour l'instant, Thierry Breton ne va pas si loin, mais les conséquences sont fascinantes.Parce que la solution de remplacement, ce sont les réseaux sociaux. Plus ciblés, ils auraient le mérite de permettre un contact direct et rapide. Réseaux sociaux internes à l'entreprise évidemment. Et je suis sûr que vous y pensez comme moi : ce réseau social pourrait-il devenir un instrument de révolte ? L'Égypte au coeur des entreprises ? Je me permets juste un commentaire sur cette situation géopolitique qui n'est évidemment pas de ma compétence : on insiste partout sur le rôle de Facebook, on a vu le visage de ce jeune activiste, Wael Ghonim. Je veux rappeler moi que c'est un « vendeur », un vrai, formé par les meilleurs, directeur marketing de Google pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord. C'est bien lui, nous dit-on, qui a conçu l'ébauche de la révolte, trouvé le point de fixation, cette place Tahrir qui permettrait les « leads », les points de contact pour les « prospects », rendez-vous de la presse mondiale, image permanente de la vitalité de la mobilisation. A-t-on pris conscience de la force dévastatrice d'une alliance entre le marketing et les réseaux sociaux sur le terrain politique et social ?Visiblement, on l'a fait aux États-Unis. Vous avez peut-être suivi ça la semaine dernière. Le débat sur la possibilité de donner au président des États-Unis le droit « souverain » de couper Internet, parce que justement ce peut être une arme de déstabilisation massive. Comme les médias américains ont un sens de la formule qui n'a pas d'égal, ils ont trouvé le mot « kill switch », le bouton tueur. Faudra-t-il bientôt l'installer sur les bureaux des grands patrons ? En tout cas, si vous voulez vous y remettre, Monsieur Breton, je crois qu'avec le « Kill Switch », on tient le titre d'un sacré polar.
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