Pour qui roule la voiture électrique  ?

Les constructeurs automobiles Renault et PSA Peugeot-Citroën se sont engagés à livrer 60.000 véhicules électriques en France en 2011-2012, a annoncé hier mardi le ministre du Développement durable, Jean-Louis Borloo. Cette production, répartie à parts égales entre les deux groupes, sera destinée en priorité aux 12 agglomérations qui auront développé un réseau d'infrastructures de recharge suffisant, a précisé le ministre. « On y va tous ensemble et je pense que nous sommes le pays au monde qui va effectivement effondrer ses émissions de CO2 et probablement prendre un coup d'avance sur ces filières industrielles », s'est félicité Jean-Louis Borloo aussitôt approuvé par le ministre de l'Industrie, Christian Estrosi : « On est les premiers, les plus organisés de l'Union européenne, nous sommes même la locomotive et nous entraînons tous les autres », s'est-il enflammé.Flash-back. Nous sommes en septembre 2004. À Matignon, Jean-Pierre Raffarin lance, à coup de superlatifs, le plan sur les biocarburants. Il ne s'agit rien moins que « d'une grande ambition nationale », s'emporte-t-il. À l'époque, il s'agit aussi de répondre à la grogne des Français qui ont vu les prix des carburants s'envoler, conséquence de la flambée des prix pétroliers. En octobre 2006, Thierry Breton, alors ministre de l'Économie et des Finances, ira même jusqu'à inaugurer une « vraie-fausse » pompe E85 porte d'Orléans ! Las, six ans plus tard, les biocarburants n'ont plus la cote. La mariée sans doute trop belle s'est rapidement révélée moins écologique qu'espéré, peu rentable économiquement et prédatrice pour l'agriculture alimentaire. L'exemple type de la fausse bonne idée.La voiture électrique va-t-elle subir le même sort ? Elle est présentée aujourd'hui avec des accents identiques à ceux qui naguère encensèrent les biocarburants. Peu avare dans sa communication politique, le gouvernement soutient l'émergence de ce nouveau parc automobile par un vaste plan « véhicules électriques » lancé en septembre 2009 et doté de centaines de millions d'euros. Objectif : voir rouler « deux millions de véhicules électriques à l'horizon 2020 ». Une ambition modeste au regard de la trentaine de millions de véhicules qui circulent en France, mais justifiée. Car avant que les voitures électriques puissent détrôner leurs consoeurs thermiques encore faut-il qu'elles soutiennent la comparaison. Ce qui est loin d'être le cas. Côté autonomie, les voitures électriques ne peuvent rivaliser avec leurs cousines à essence. Leur capacité de déplacement « s'étage entre 150 et 250 km voire 300 km pour les plus performantes », explique Maxime Pasquier, ingénieur à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Et ceci quand de nombreux véhicules à moteur thermique avalent plus de 800 km d'un seul plein. Encore faut-il ne pas rouler l'hiver ou pendant une canicule. L'utilisation du chauffage ou de la climatisation « réduit l'autonomie des batteries de plus de 20 % », a calculé l'ingénieur. Soit une réduction de 50 km pour une voiture affichant 250 km d'autonomie. Joseph Beretta, délégué énergie et technologie chez PSA Peugeot-Citroën est plus sévère. La mise en route du chauffage pendant l'hiver « multiplie quasiment par deux la consommation électrique », affirme-t-il. Dans ces conditions, la meilleure des voitures ne pourra guère garantir plus de 200 km de trajet à son conducteur. Tout juste un Nice-Marseille (204 km), même pas un Bordeaux-Toulouse (244 km).Le manque d'autonomie « est une inquiétude pour le public », admet l'ingénieur de l'Ademe. Et même si, selon les statistiques, 80 % des trajets quotidiens sont inférieurs à 80 km, tout acquéreur de voiture s'interroge d'abord sur le service que son véhicule est susceptible de lui fournir. Plus prosaïquement, ce Lillois se demandera comment il ira en voiture électrique visiter sa vieille mère hospitalisée à Lyon (694 km) si sa voiture ne peut lui garantir que 250 km de parcours et doit être rechargée pendant environ six heures entre chaque trajet. Concrètement, il lui faudrait partir de Lille pour atteindre d'abord Reims (200 km). Recharger six heures puis repartir pour Langres (218 km), recharger une nouvelle fois six heures et faire les kilomètres restants jusqu'à Lyon. Bilan du voyage : départ le matin de Lille, arrivée à destination dix-huit heures trente plus tard. Et sans chauffage ! En voiture « classique », six heures trente auraient suffi.Comment pallier ce manque d'autonomie ? Plusieurs solutions sont envisagées. D'abord celle d'une recharge rapide. « Théoriquement, il est possible de recharger une batterie de voiture en quinze à vingt minutes », explique Maxime Pasquier. Sauf que la technologie de recharge rapide présente deux énormes inconvénients. Elle use très rapidement les batteries alors que ces dernières, très coûteuses, représentent la moitié du coût total d'une voiture. En outre, recharger vite signifie l'installation de milliers de bornes dédiées. Ce qui, même avec la meilleure volonté du monde, prendra plusieurs années. Le problème se pose en termes similaires pour le concept de Shai Agassi, fondateur de la société Better Place. L'entrepreneur israélien préconise de parsemer le territoire de stations-service auprès desquelles les voitures changeraient de batteries en quelques minutes. Idée ingénieuse, mais qui nécessite, elle aussi, la construction d'infrastructures ad hoc. L'approvisionnement en énergie est aussi une question que soulève la voiture électrique. Le remplacement de l'intégralité du parc actuel par des voitures électriques entraînerait une augmentation de 15 % à 20 % de la consommation électrique. Or, cette énergie n'est pas que d'origine nucléaire. En clair, les véhicules électriques ne sont pas « propres » mais simplement peu polluants. Faute de rivaliser avec ses homologues thermiques, la voiture électrique n'est pas (encore) la solution adéquate. À l'unisson des spécialistes, l'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage estime que « la solution intermédiaire se trouve dans les voitures hybrides rechargeables (carburant + électrique) ». « La solution c'est la voiture hybride », acquiesce Joseph Beretta. « Question grand public, la voiture électrique n'est pas encore au point », confesse un ingénieur de Renault. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas de marché. Les parcs automobiles des administrations, des grandes entreprises privées comme publiques, des collectivités locales au sein desquels les véhicules parcourent des trajets souvent bien définis et réguliers, sont coeur de cible. Pourra-t-on un jour utiliser des voitures électriques comme on le fait des voitures actuelles ? Sauf à ce qu'elles améliorent leur qualité de service, difficile d'y croire. Mais est-ce l'objectif ? La voiture électrique « crée autant d'embouteillages, de déchets et de routes qu'une voiture classique », avance Arnaud Gossement, avocat spécialiste des questions environnementales. Pour lui, « la reconversion écologique de l'automobile passe d'abord par moins de voitures ». Une révolution des esprits, qui, elle aussi, risque de prendre quelques années avant de s'imposer.
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