Cinéma africain, salué par la critique, boudé par le public

Le cinéma africain est de retour à Cannes. Le tchadien Mahamat-Saleh Haroun, auteur du très émouvant « Daratt », présente cette année son nouveau film « Un homme qui crie » en compétition officielle. Le dernier film africain à avoir été sélectionné est « Kini et Adams » du Burkinabé Idrissa Ouedraogo en 1997. Cinq ans auparavant, le réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty avait relevé le même défi avec « Hyènes ». Mais depuis cet éphémère « âge d'or » des années 1990, l'Afrique ne cesse de courir après les sélections officielles. Une absence de longue durée qui fait office de bulletin de santé pour l'industrie cinématographique africaine. Pas de doute, le pronostic vital est engagé. « Le cinéma africain subsaharien est dans une situation dramatique. Cinquante ans après les indépendances, cette industrie n'arrive tout simplement pas à exister », reconnaît Olivier Poivre d'Arvor, directeur de Culturesfrance qui parraine l'opération « Pavillon les cinémas du monde » à Cannes. Les optimistes pointeront du doigt le dynamisme du cinéma sud-africain postapartheid, la vitalité de la production nigériane de « Nollywood » (2.000 films par an), de qualité souvent très médiocre mais vrai vecteur identitaire, ou alors les politiques publiques volontaristes de soutien au cinéma au Maghreb. Mais, en Afrique Noire, c'est le no man's land. Faute de moyens, de réseaux de distribution, d'écoles de formation, le cinéma africain se marginalise et semble incapable de rendre compte au public des grands récits qui font pourtant l'Afrique moderne. Pour pallier l'insuffisance chronique de ressources, certains réalisateurs se sont appuyés sur le numérique pour une production « low-cost », avec, parfois, le succès en salles, à l'image de « Coeur de Lion » de Boubakar Diallo. Mais ces films, d'une qualité visuelle limitée et qui renvoient l'image d'une Afrique imaginaire ou folklorique, sont, de l'avis de Thierry Vigneron d'Atlantis Production, distributeur en France de plusieurs films comme « Teza » ou « Erza », « guère exportables ». Reste alors le club très fermé des réalisateurs « 35 millimètres », le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, le Mauritanien Abderrahmane Sissako, auteur de l'inattendu succès « Bamako » (200.000 entrées en France) ou l'excentrique Ivoirien Sidiki Bakaba. Ceux-là sont « présentables » dans les festivals et parviennent à financer, bon an mal an, leurs projets avec des coproductions acrobatiques mêlant bailleurs internationaux (Fonds Sud, Union européenne.), sources en déclin, chaînes de TV (Arte, TV5 Monde.) et producteurs indépendants. Pour autant, ces longs-métrages de grande qualité cherchent toujours leur public. « Ce cinéma reste cloisonné aux festivals, confiné à un public d'art et essai, convaincu d'avance », déplore Benoît Tripez, cofondateur de l'association Clap Noir et animateur d'un site très documenté (www.clapnoir.org). « Il est toujours associé une image de cinéma d'auteur, avec de faibles moyens, ce qui ne correspond plus à la réalité mais qui effraye toujours les exploitants et le public », précise-t-il. Pire, il existe toujours un long délai - parfois deux ans - entre la présence d'un film dans un festival et son exploitation en salles, ruinant ainsi tous les efforts de promotion. Le meilleur exemple est sans doute « Teza », la grande fresque épique éthiopienne d'Haïlé Gérima, primée à la Mostra de Venise 2008 et au Fespaco début 2009 mais sortie en France voici seulement deux semaines. Le distributeur Atlantis a prévu six copies pour la sortie (1.000 entrées la première semaine) pour une montée progressive à 30. « Nous cherchons toujours à exploiter le film sur un petit réseau mais en le maintenant le plus longtemps possible à l'affiche », explique Thierry Vigneron, qui espère toujours convaincre et chercher un nouveau public. Le remède viendra peut-être de cette Afrique qui se réveille. « Il est temps que le cinéma africain se prenne en charge, que les hommes d'affaires, les banques, les télévisions du continent se mobilisent pour défendre leur cinéma », lance ainsi Olivier Poivre d'Arvor. Eric Benhamou
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