« Je veux que chaque citoyen puisse comprendre le droit »

Que pensez-vous de la tournure que prend le débat sur l'identité nationale ?Je suis favorable à tous les débats. Lorsqu'on en refuse certains, les Français ont tendance à se tourner vers des partis extrémistes qui, eux, les portent. Pour moi gaulliste, le débat sur l'identité nationale doit se comprendre comme un élément d'un débat plus large sur l'unité nationale. Les Français ont-ils envie de vivre ensemble et, surtout, de partager un destin commun ?Comptez-vous intégrer cette réflexion sur l'unité nationale au sein même de la justice ?Lorsque j'ai été nommée garde des Sceaux, j'ai affirmé deux ambitions : faire de ce ministère celui du droit en général, pas seulement du droit pénal, et réconcilier la justice avec les citoyens. Le droit, ce sont les règles qui permettent aux gens de vivre ensemble : sur un terrain de sport, sans règle du jeu, vous ne pouvez pas jouer. Mais pour être connues et acceptées par tous, ces règles doivent être compréhensibles. Or le droit ne l'est plus. Voilà pourquoi depuis que je suis ici, j'insiste pour avoir une nouvelle écriture du droit. Quand on m'envoie des textes qui ne sont compréhensibles que par les initiés, je les renvoie dans les services. Je dis toujours : « Je veux une idée par phrase. Je veux que chaque article se suffise à lui-même sans qu'il soit nécessaire de se référer à dix autres articles. Je veux que chaque citoyen puisse comprendre. » C'est sur ces bases que nous travaillons à la réforme du Code de procédure pénale. Aujourd'hui, les Français ne comprennent pas pourquoi, dans certains cas, on a recours à un procureur et, dans d'autres, à un juge d'instruction. Ils ne savent plus qui fait quoi. Dans un souci de simplification, j'essaie d'avoir une distinction claire entre l'enquête, confiée au parquet, et le contrôle et la protection des droits des parties, confiés au juge de l'enquête et des libertés. Vous parlez de l'égalité des citoyens face à la justice. La suppression du juge d'instruction ne va-t-elle pas permettre aux puissants proches du pouvoir de bénéficier d'un traitement plus bienveillant ?C'est le discours tenu par ceux qui ne connaissent pas la réforme. Mais c'est normal puisque je suis en train de la rédiger.L'ancienne juge d'instruction Eva Joly n'a pas ménagé ses critiques?Elle ne connaît pas la réforme que je veux faire ! Aujourd'hui, il y a trop de suspicions entre les juges et le monde politique. Or, pour que le citoyen ait confiance dans sa justice, il faut les lever. La procédure que j'entends mettre en place offrira encore plus de garanties au citoyen, à la victime comme à la personne mise en cause.Comment ?Le parquet traitera toutes les affaires sous le contrôle d'un juge de l'enquête et des libertés ayant le même statut que le juge d'instruction aujourd'hui. Ce sera un magistrat du siège ayant une totale garantie d'indépendance. Dans la loi, il sera rappelé que le ministre de la Justice ne peut pas demander de classer une affaire. Supposons par exemple que le procureur classe une affaire. Le juge de l'enquête et des libertés pourra lui demander de rouvrir le dossier à la demande de l'une des parties. Ces garanties concerneront non seulement les 3 % d'affaires traitées aujourd'hui par le juge d'instruction, mais également la totalité des affaires pénales. C'est une avancée importante. De même, le juge de l'enquête et des libertés pourra imposer au procureur d'effectuer telle ou telle investigation. Il veillera à l'impartialité et à l'équité.Ce nouveau dispositif est-il compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme ?Oui. Car les décisions les plus attentatoires aux droits de la personne seront prises par un magistrat du siège, en l'occurrence le juge de l'enquête et des libertés.Quid des instructions individuelles au parquet ?Elles sont très encadrées. La loi le rappellera. Je ne peux ni demander le classement d'un dossier, ni m'opposer à la réalisation d'actes. Ensuite, mes instructions sont écrites et donc consultables dans le dossier par toutes les parties. Surtout, j'ai décidé de les motiver. Les parties, voire les citoyens en sauront les raisons. Cela m'oblige aussi en l'écrivant à me demander si mon instruction se justifie vraiment. Cette obligation de motiver sera inscrite dans la loi. Elle est un élément de contrôle extrêmement important.La justice aura-t-elle les moyens de continuer à faire son travail sur les affaires financières ?Bien sûr. Entre la simplification d'un côté et les spécialisations autour de pôles (financiers, antiterroristes, etc.), nous aurons au contraire davantage de possibilités d'actions.Allez-vous mieux garantir les droits de la défense dans la garde à vue ?C'est une préoccupation que j'avais déjà au ministère de l'Intérieur. La garde à vue est un moyen d'enquête. Elle doit être strictement limitée à l'utilité de l'enquête. J'essaie donc de regarder comment la restreindre aux cas vraiment nécessaires, c'est-à-dire les crimes et délits susceptibles d'être punis d'une peine d'emprisonnement significative. Avec le groupe de travail sur la réforme de la procédure pénale, nous travaillons aussi sur une nouveauté : la garde à vue pourrait être exclue lorsque les gens se présentent spontanément dans un commissariat ou une gendarmerie. Ce serait une avancée.Que comptez-vous faire du rapport Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires demandé par le président de la République ?Nous avons un vrai problème sur la question des « class actions ». Ce sujet n'est pas simplement national mais aussi européen. Juste avant le changement de la Commission européenne, nous avons failli nous voir imposer des « class actions » inspirées du modèle américain. Pour ma part, compte tenu des excès de ce modèle, je préfère que nous travaillions à proposer un système compatible avec notre culture, avec la vie de nos entreprises et susceptible d'être proposé comme système européen. En période de crise, les entreprises sont fragilisées, ce n'est pas forcément le moment de recréer des inquiétudes. Mais tout le monde, y compris dans le patronat et les associations de consommateurs, a bien conscience qu'il est impossible de rester dans le statu quo. Il va donc falloir faire avancer la réflexion en 2010.Allez-vous également renforcer les modèles alternatifs de règlement des conflits ?Pendant la crise, nous avons mis en place une coordination qui a montré son efficacité entre le médiateur du crédit, les commissaires aux comptes, les conciliateurs ad hoc, les présidents des tribunaux de commerce. Aujourd'hui, nous avons besoin de voir comment harmoniser leur travail. Où s'arrête la médiation, où commence le jugement ? Mes collaborateurs y travaillent déjà. Ma préoccupation est de soutenir nos entreprises.Vous allez engager une réforme de la procédure devant les conseils de prud'hommes. À quelles fins ?Une modernisation est nécessaire, notamment pour aider les conseils de prud'hommes à répondre avec une plus grande réactivité aux conflits entre un salarié et un employeur. Il faut favoriser la conciliation partout où c'est possible et simplifier les procédures. Un décret est en phase de préparation. Je ne le signerai pas sans concertation préalable avec l'ensemble des syndicats, patronaux et salariaux. Elle débutera dans quelques semaines.La réforme attendue en 2010 du droit des contrats permettra-t-elle aux entreprises victimes de « violence économique » d'annuler un contrat ?Cette notion figure dans notre droit civil. Elle est appliquée au droit des contrats. C'est la clause léonine, cause de nullité. Ses conditions de mise en ?uvre sont très limitatives et mal définies. Le concept de « violence économique » permettra de clarifier et d'élargir les hypothèses de dépendance économique où le plus faible a signé le contrat sous la pression. n.Il y a trop de suspicions entre les juges et le monde politique. Pour que le citoyen ait confiance dans sa justice, il faut les lever.sur la réforme de la procédure pénaleElle pourrait être exclue lorsque les gens se présentent spontanément dans un commissariat ou une gendarmerie.sur la garde à vueTravaillons à proposer un système compatible avec notre culture et avec la vie de nos entreprises.sur les « class actions »
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