Mode

Pendant soixante ans, en Russie, toute tentative de distinction vestimentaire était assimilée par l'administration soviétique à de la propagande bourgeoise, et donc coupable. Les designers se devaient de suivre la ligne officielle, pas question de s'adonner à la moindre fioriture. Même faire du lèche-vitrines dans une rue commerçante (qualifiée non sans ironie de Broadway) leur était interdit.En 1980, Slava Zaitsev, le « Dior de la place Rouge », a été le premier couturier à réussir à lever l'interdit, en créant le théâtre des modes. Trente ans après, l'inauguration à Moscou, courant 2010, d'un musée entièrement dédié à la mode a valeur de symbole. Les autorités veulent accompagner l'émergence d'une jeune élite stylistique. Certes, ils sont déjà quelques-uns? Mais au-delà d'Antonina Chapovalova, qui fait défiler ses mannequins au son de « Vova (le petit nom de Vladimir P.) je suis avec toi », ou de Kira Plastinina, qui, à 15 ans, peut se targuer d'avoir créé sa marque, de posséder 40 magasins et d'avoir Paris Hilton (moyennant 2 millions de dollars) au premier rang de son défilé new-yorkais, force est de constater que la mode russe peine à attirer l'attention de la scène internationale. Dasha Zhukova, la compagne de Roman Abramovitch a pris, en février 2009, la rédaction en chef du très pointu magazine de mode anglais « Pop » ; de même la top Natalia Vodianova dessine une ligne de lingerie pour Etam ; mais là encore, elles sont des pionnières. La mode russe à ParisDans la capitale française, en revanche, dès 1908, avant même l'arrivée de Nijinsky à Paris, les costumes des Ballets russes dessinés par Bilibine, pour l'opéra « Boris Godounov », monté par Diaghilev ont marqué le début de la fascination des Français pour le folklore russe.Paul Poiret, ami de Bakst, devint maître de l'orientalisme. Ses amples manteaux doublés de fourrure ont bouleversé l'allure des Parisiennes.À sa suite, Coco Chanel qui aimait à dire : « Tous les Slaves sont distingués, naturels, même les plus humbles ne sont jamais communs », réalisa pour Diaghilev les costumes du ballet du « Train bleu », sur un livret de Cocteau en 1924. Son style simple, efficace et géométrique n'est pas sans évoquer les vêtements constructivistes de Varvara Stepanova. Des formes confortables et géométriques qui n'entravent pas les mouvements.Mais le coup de tonnerre en France se produit vraiment en 1976, quand Yves Saint Laurent fait sensation avec son défilé russe. Il dit : « Je ne sais pas si c'est ma meilleure collection, mais c'est la plus belle. » Jupes à volant bordées de fourrure, pantalon de soie bouffant, boléros à brocard, broderies? Il atteint le sommet de son art.Après lui, d'autres créateurs, dont Marc Jacobs pour Louis Vuitton en 2001, ont tenté l'expérience. En décembre 2008, pour la collection Paris-Moscou, Karl Lagerfeld a retravaillé les coiffes de beauté traditionnelles, les « kokoshnik », qui se déploient sous des cascades de perles et de dentelles immaculées. Pour cet hiver, John Galliano a lui joué des matières soyeuses, des ors et des argents. Et, chez Kenzo, Antonio Marras use de chapka, fourrures, longues bottes, avec une palette de rouges? À l'heure où chacun tente de repositionner le luxe dans l'exceptionnel, rien ne paraît trop russe.Que celles qui aimeraient continuer à s'adonner à cette tendance ne soient pas en peine ; la dentelle, les broderies blanc sur blanc, et les myriades de breloques de perles (vraies ou fausses) seront très en vogue au printemps. On s'inspirera aisément des héroïnes de Tchekhov pour rêvasser tendance sous les cerisiers en fleur. Isabelle Lefort
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