« La crise a accéléré le transfert de pouvoir de l'Ouest vers l'Est »

STRONG>Sommes-nous sortis de la crise ?Le monde a dû faire face à une grande dépression. Heureusement, des mesures fiscales et monétaires massives ont permis d'en atténuer les effets. Et aujourd'hui, nous avons la gueule de bois. Celle-ci prend la forme d'une crise de dette souveraine, qui s'étend chaque fois qu'un pays est attaqué par les marchés financiers parce qu'il est trop endetté. Est-ce que cet enchaînement va aller au-delà de la zone euro et traverser l'Atlantique ou prendre la direction du Japon ? J'en suis convaincu, parce que les déficits ou l'endettement de ces pays n'ont rien à envier à ceux des Pigs, je veux parler du Portugal, de la Grèce, de l'Irlande ou de l'Espagne. Voilà pourquoi il faut s'attendre à un changement significatif de la perception des investisseurs, sur l'aspect risqué des obligations japonaises ou américaines. Changement qui se traduirait par un mouvement à la hausse des taux d'intérêt nominaux, avec des conséquences très importantes pour ces pays. C'est le risque que court l'économie mondiale, étant donné la taille des économies japonaise et américaine.Lors du dernier World Economic Forum à Davos, de nombreux intervenants ont insisté sur l'écart croissant entre la santé insolente des économies émergentes, à commencer par la Chine, et le marasme des pays industrialisés. Partagez-vous cette analyse ?Sur un plan historique, la crise financière est un épiphénomène qui intervient dans le contexte d'un déplacement massif du pouvoir économique de l'Occident vers l'Orient. En réalité, cette crise n'a fait qu'accélérer ce transfert, qui avait débuté bien avant 2007.Est-ce que, dans l'histoire, le monde a connu de tels transferts de pouvoir ?Il y a un siècle, on a connu un phénomène comparable, lorsque les États-Unis et l'Allemagne ont pris le pas sur la Grande-Bretagne dans le palmarès des puissances industrielles. Dans le premier cas, ce changement s'est fait en douceur, les États-Unis doublant la Grande-Bretagne dans les années 1870, et cette dernière acceptant très bien sa relégation graduelle d'un statut de senior à celui de junior dans le cadre d'un partenariat anglo-américain. En revanche, dans le cas de l'Allemagne, même si ce pays avait des affinités culturelles avec la Grande-Bretagne, le résultat a été un conflit désastreux. Aujourd'hui, lorsqu'on se penche sur la relation sino-américaine, on peut se poser des questions. Est-ce que le partenariat économique sino-américain va continuer à exister ? S'il devait disparaître, par quoi serait-il remplacé ? Par une simple compétition entre deux rivaux ou par quelque chose de plus sérieux, voire par un conflit ?Quel est votre pronostic ?Je ne crois pas que nous sommes à l'aube d'un nouveau type de guerre froide, ou qu'un jour éclateront de véritables guerres entre les États-Unis et la Chine. Ce n'est pas inévitable. Mais parallèlement, si l'on considère l'importance de la demande chinoise en matières premières, demande qui va aller en s'amplifiant, et l'offre mondiale de ces ressources minières ou naturelles, il est évident qu'une rivalité va s'instaurer entre les puissances occidentales et la Chine. Ce ne serait pas surprenant, dans la mesure où la plupart des grands conflits de l'ère moderne ont eu pour enjeu des matières premières. Aux XVIe et XVIIe siècles, on s'est battu pour l'or et l'argent, au XVIIIe pour le sucre et les épices, au XIXe pour le charbon, au XXe pour le pétrole... Voilà pourquoi je ne serais pas surpris de voir le partenariat sino-américain, qui date de 1972, prendre fin. Nous assistons actuellement à sa désintégration.La crise de la dette souveraine semble s'être calmée en Europe, et pourtant vous restez pessimiste. Pourquoi ?Il y a déjà dix ans, j'avais annoncé que la zone euro serait une entité instable parce qu'une union monétaire sans une union fiscale n'est pas durable. Cette analyse a été validée par la crise. Actuellement, la situation reste très fragile, et se résume par une question : l'électeur chrétien-démocrate allemand est-il prêt à accepter un changement institutionnel conduisant à des transferts de revenus de l'Allemagne vers la périphérie de l'Europe ? La réponse est non ! Ce qui pose un problème majeur parce que, s'il n'y a plus personne pour faire des chèques, le processus d'intégration européenne ne peut pas continuer. En fait, il pourrait même aller à rebours.Pourquoi à rebours ?Nous vivons une période de désintégration économique, qui est très profonde et structurelle. Si vous regardez les coûts unitaires du travail, depuis la création de la zone euro en 1999, vous constatez une divergence, et non une convergence. Dans la période précédente, on aurait résolu le problème avec des dévaluations dans les pays trop chers. Aujourd'hui, le seul ajustement possible passerait par des réductions nominales de salaires aux travailleurs grecs, irlandais, portugais ou espagnols, ce qui semble très difficile.Y a-t-il un risque d'éclatement de la zone euro ?Ce risque est réel et je pense que ce serait une grande erreur de croire que, simplement parce que l'euro existe maintenant, il sera toujours là dans dix ans. Le manque de volonté politique en Allemagne et la désintégration structurelle à l'oeuvre dans la zone euro sont les deux facteurs qui rendent la survie à long terme de l'euro improbable. Parallèlement, vu de Berlin, l'euro est un mal nécessaire parce que, sans lui, les Allemands auraient les mêmes problèmes que la Suisse avec une monnaie trop forte. Le meilleur argument pour la survie de la zone euro est qu'elle sert très efficacement les intérêts de l'industrie allemande.Vous voulez dire à cause de son taux de change ?Exactement ! La zone euro est au départ un accord donnant aux pays excessivement endettés comme la Belgique ou l'Italie les taux d'intérêt bas allemands, l'Allemagne bénéficiant en retour d'un taux de change plus faible. C'était ça, le deal ! Le problème aujourd'hui est que, en l'absence de transferts du centre vers la périphérie et sans intégration du marché du travail, le seul moyen de maintenir la zone euro dans sa forme actuelle passe par la déflation dans les pays périphériques. Mais demander aux Grecs ou aux Irlandais de transformer leur déficit de 10 % du PIB en un excédent de 5 % du PIB, c'est impossible ! D'autant qu'en période d'après-crise il ne faut jamais sous-estimer les conséquences politiques.Jusqu'à présent, on est plutôt parvenu à les éviter...Oui, mais il s'agit d'un phénomène à combustion lente ! Je suis pour ma part convaincu que le populisme va devenir une force de plus en plus puissante en Europe.Retrouvez l'intégralité de l'interview de Niall Ferguson à partir de 11 heures sur www.latribune.fr.
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