Internet  : la grande manip  ?

Cékoi tes ?hashtags? ? » Deux sujets très différents ont animé, il y a peu, les réseaux sociaux sur Internet : les rumeurs sur le couple présidentiel français et le rôle du groupe Nestlé (le producteur des barres Kit Kat avec de l'huile de palme) dans la déforestation et la disparition des orangs-outans. Rien de commun entre ces deux « affaires », si ce n'est que « toutes les crises de réputation naissent et se développent aujourd'hui à la vitesse de la lumière sur Twitter, Facebook, Youtube et les blogs, pour finir chez les grands médias classiques, dit Stanislas Magniant, chez Publicis. Et, qu'ils aient ou non vérifié l'information, la crédibilité statutaire des journalistes qui la reprennent, la valide implicitement. C'est ainsi que les crises virtuelles se muent en crises réelles ». Un phénomène qui pousse toutes les agences de communication à offrir des services de veille : elles traquent l'augmentation des mentions de leurs clients sur le Net, analysent le danger que présentent les messages, et organisent l'enfouissement des infos dérangeantes. L'art du déminage numérique comme les techniques d'influence et de contre-influence sont ainsi devenus des savoir-faire très recherchés. En 2002, le « rumorologue » Pascal Froissart estimait que si Internet facilitait la circulation des rumeurs par simple clic, il ne produisait pas de rupture dans leur mode de diffusion. Avec la multiplication des blogs, des espaces de commentaires postés sur sites et, surtout, l'arrivée des réseaux sociaux en 2004 qui ont accéléré leur diffusion virale, le phénomène semble avoir trouvé son terreau privilégié. Comme l'écrivait Pascal Froissart en 2007, « l'effet de rumeur est un partage de lien social dans un jeu de connivence et d'humour, un phénomène de communion, et finalement de participation à une cérémonie sans enjeu ». Voilà qui est, à peu de chose près, le « modus operandi » des réseaux sociaux, « à la fois lieu de conversation privée et espace public dans lequel chacun peut intervenir avec un levier incroyable », selon Éric Maillard, chez Ogilvy. Alors que 75 % des Américains s'y informent et que 52 % relaient les informations qu'ils y trouvent, que l'audience de Facebook aux États-Unis a dépassé celle de Google, que 80 % des 35 millions d'internautes français sont connectés à au moins un réseau, la dynamique du réseau social irrigue tout le Web. « Avec lui, l'information est devenue une activité qui socialise, dit Manuel Singeot, chez Cybion. On la recherche pour conforter son opinion et en discuter avec ses ?amis? de la Toile, toute information appelant une réponse et/ou un relais immédiats. » Voilà comment le virus est devenu le mode de circulation - mais aussi de hiérarchisation - de l'information.Ce serait anodin si ces 50 millions de « tweets » échangés par jour (soit 600 à la seconde) n'avaient modifié en profondeur l'exigence de validation de l'information : « Les internautes se fient de plus en plus à ceux qui s'expriment en 140 signes sur Twitter, même si sur ce réseau, personne ne valide ni l'information ni la source », dit Christine Balagué, coauteur de « Facebook, Twitter et les autres... ». « Quand on partage le même univers sociologique, on a tendance à considérer que les recommandations de son réseau social sont bonnes, et que les informations qui y circulent sont vraies », dit encore Manuel Singeot. Voilà pourquoi les poissons d'avril sont avalés tout cru, comme ce dernier prétendant que la politique française est arbitrée à l'Élysée par un logiciel d'aide à la décision. Ou encore, en 2009, que les croix vertes des pharmacies parisiennes seraient amenées à disparaître, sur décision d'un Bertrand Delanoë souhaitant mettre fin aux « symboles religieux ostentatoires »...Dès lors, lancer une rumeur ou une campagne de déstabilisation qui fera mouche relève du jeu d'enfant, selon Éric Maillard, d'Ogilvy : « Il faut trouver un sujet en phase avec les fantasmes en cours de la société, comme la ?pipolitique?, les entreprises voyous ou l'avenir de la planète ; en faire une blague irrésistible ou une vidéo choc qui détourne les codes publicitaires connus par tous comme le font très bien les ONG ; la diffuser en ciblant des leaders d'opinions hyperconnectés qui la relaieront auprès de leurs ?followers? sur Twitter, en la plaçant sur Youtube ou Facebook avec des mots-clés faciles à identifier. » Cela dit, nuance le sociologue Dominique Cardon, « une source qui n'est d'aucune communauté, ou qui n'a pas de passé sur le Net, n'arrivera pas à créer un buzz ». Aussi, le monde politique a-t-il créé ses réseaux sociaux et autres pages Facebook : lacoopol.fr pour le PS en janvier 2010, puis lescréateursdepossibles.com pour l'UMP, que l'un et l'autre activent ici pour peser sur le sondage express d'un site, là pour contrer un « article déplaisant » ou les blogs de rumeurs politiques de plus en plus nombreux. Dans le même but, Rachida Dati vient de créer le sien ainsi que sa page Facebook.L'idée est de faire barrage à ces anonymes féroces commentateurs et inlassables relais des rumeurs : « Si Internet est ouvert à tous, c'est d'abord la caisse de résonance des extrêmes idéologiques, politiques et religieux, dit Clément Bourrat, chez Cybion. En regardant de près les réactions postées, on voit que ce sont souvent les mêmes qui réagissent, signe que ces personnes y passent beaucoup de temps. » Les mauvaises langues y voient même le lieu de l'activisme des inactifs, à savoir des chômeurs ou fils à papa qui profitent de l'anonymat pour, en général, s'exprimer avec haine. En témoigne la définition des réseaux sociaux donnée par Reporters sans frontières : « Des outils de collaboration qui permettent de remettre en cause l'ordre social. » En permettant de se créer un ou plusieurs avatars, dit Manuel Singeot, « ces réseaux permettent à des ?hacktivistes? d'infiltrer les blogs, ou à des ?trolls? d'intervenir systématiquement sur les sujets brûlants du moment, soit pour les démolir et empêcher le débat, soit pour les détourner afin que l'on parle d'autre chose ». Pendant les régionales, les articles sur le fond des programmes ont été largement « trollés ». Carla Bruni-Sarkozy n'a pas tort de dénoncer un anonymat qui pose problème à la démocratie. Les grands quotidiens américains aussi, qui vont réserver leur espace de commentaires aux individus enregistrés et s'exprimant à visage découvert.Alors, l'Internet des réseaux sociaux serait-il le lieu de toutes les manips ? Celui des annonceurs qui lancent des opérations d'« astroturfing » et de « spamdexing » (voir encadré), des vidéos bidon et noient sous une montagne d'informations toute campagne hostile ? Des associations et « hacktivistes » militants qui avancent masqués pour tuer une réforme et empêcher un débat ? « Non, répond Christine Balagué, car c'est un système qui s'autorégule. Avec Internet, on est passé à un contrôle a posteriori. Toute information fausse est rapidement dénoncée. Comme l'affirmation de Nicolas Sarkozy qu'il était à Berlin le jour de la chute du Mur. Quant à l'anonymat, ce n'est pas un problème. Il y a des informations qui ne sortent que parce que leur diffuseur le fait masqué. Aujourd'hui, l'existence de la fille de François Mitterrand, Mazarine Pingeot, n'aurait pu rester cachée. » nL'explosion des réseaux sociaux, des blogs et des messages anonymes a modifié la dynamique de la rumeur. Loin d'être un pur espace de transparence et de démocratie, Internet se révèle aussi un lieu d'intenses manipulations.
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