«Dans le capital risque, on perd plus souvent que l'on ne gagne»

La Tribune - Que demandez-vous au gouvernement, qui est en passe de sensiblement amendé le projet de loi de finance (PLF) initial?Philippe Collombel - Nous demandons qu’il n’abîme pas l’écosystème, que les entrepreneurs puissent continuer de créer en France et que l’ensemble de la filière soit préservé. Les aménagements proposés comme l’instauration d’un pourcentage et d\'une durée de détention sont encore trop compliqués et créent des régimes différents selon les acteurs. Très souvent,  le fondateur d’une start-up s’allie avec un ou plusieurs managers. Il y aurait donc deux régimes, l’un favorable au fondateur, l’autre défavorable aux dirigeants. Quant aux managers des fonds, ils seraient taxés à hauteur de 95% de leurs plus values, ce qui est confiscatoire. Il faut revenir au régime antérieur ou a un régime simple, juste et non confiscatoire  pour l’ensemble de la filière.Pourquoi avoir signé un texte en concertation avec des organisations patronales dont les adhérent – les grands groupes - ont des problématiques très différentes des vôtres. N’avez-vous pas peur de discréditer votre combat ?Les représentants du CAC 40 ont des intérêts à défendre. Nous aussi. Le point de convergence, c’est que le gouvernement ne peut sortir des textes comme cela. C’est l’absence totale de concertation en amont et la difficulté à se faire entendre qui nous a le plus choqué.Le débat sur le PLF s’est beaucoup concentré sur les entrepreneurs. Quelle est la place des investisseurs dans le financement de l’innovation ?Il y a trois niveaux d’intervention dans l’investissement. D’abord, le love money qui vient d’amis proches ou de la famille. Ce sont des tickets de 10 à 50.000 euros. Ensuite, les Business Angel, [comme Marc Simoncini,  Xavier Niel ou d\'autres entrepreneurs a succès ] investissent des sommes allant de 50.000 à 400.000 euros. Les fonds de capital risque arrivent dans une troisième phase ou en même temps que les Business Angels avec des investissements allant de 400.000 euros à 10 millions par projet. Les fonds de capital risque financent 70% des projets innovants, et notamment les plus ambitieux, comme Deezer, Dailymotion ou Criteo. C’est toute une chaîne qui prend des risques  et contribue à l’innovation.Comment justifiez-vous vos revendications sur le carried interest, qui est un mode de rémunération complémentaire des managers ?Le métier de capital risque est extrêmement risqué : 30 à 40% des projets font faillite , 15 à 20% ont un rendement plutôt médiocre de 0,5 à 1,5 fois la mise. Il se trouve qu’on a plus souvent tort que raison. Et quand un projet marche, il faut qu’il marche très bien pour rattraper les autres. Résultat, plus de 80% des fonds n’atteignent pas l’équilibre. Afin de s’assurer que les intérêts sont bien alignés, les investisseurs dans les fonds nous obligent à investir personnellement à leur côté. Dans la pratique, les managers injectent 1 à 2% des fonds dont les montants vont de 50 à 150 millions d’euros. Ils investissent donc entre 500.000 et 3 millions d’euros. Ce n’est qu’une fois que le fonds a récupéré le capital et un rendement minimal  (7 à 8% par an) au terme d’un cycle de 8 à 10 ans, que les managers touchent 20% des plus-values réalisées s’il y en a. En réalité, moins de 15% des fonds touchent cet intéressement. En France, le carried interest est faible, car personne n\'a réussi a créer des Google, Amazon ou Facebook. Mais, ce que veulent les investisseurs dans  les fonds c\'est que les managers des fonds aient la possibilité de gagner de l\'argent, même si au final on perd plus souvent que l’on ne gagne. Cela s\'appelle l\'alignement des intérêts. Or, le projet de loi de finance allié à celui de la sécurité sociale fait passer la fiscalité sur ces plus-values de 34,5%, un taux déjà très élevé en Europe à 95% ! En Allemagne, ce taux est à 28%, au Royaume Uni à 20%, et aux Etats-Unis, où  le carried peut être très élevé, il est pour l’instant fixé à 15%, même si le gouvernement Obama a le projet de le porter à 25%...Mais pour contourner le problème, il suffirait pour les fonds de changer ce mode de rémunération….Encore une fois, ce sont les investisseurs institutionnels  qui tiennent à ce que l’on prenne aussi des risques financiers. Cela fait partie du mécanisme du métier. Mais c’est très vertueux. Je crois qu’il y a une incompréhension de la part du gouvernement, qui assimile le capital risque au LBO [leverage buy out, rachat par endettement qui souvent se traduisent par des restructurations  pour redresser rapidement la rentabilité, ndlr]. L’argent investi dans nos fonds vient des compagnies d’assurance, du Fonds Europeen d\'Investissement (FEI),  de la Caisse des Dépôts, et d’autres institutionnels ainsi que de grandes entreprises ou des entrepreneurs. Ce sont des investissements de long terme (10 ans au minimum). Nous sommes très loin  de la finance de marche et de la spéculation sur un jour ou quelques semaines. Le capital risque est un métier passionnant justement car il met  la finance au service d\'aventures humaines...Quel diagnostic faites-vous de l’écosystème français si critiqué ?Il est de bonne qualité. Nous avons une vingtaine de fonds de « early stage », (qui financent les périodes plus risquées d’une start-up), autant qu’au Royaume Uni et beaucoup plus qu’en Allemagne où il y en a 5. Toute une génération de managers de fonds de capital risque qui a aujourd’hui entre 40 et 55 ans, arrive à maturité. Il y a également beaucoup d’entrepreneurs ou de serial entrepreneurs qui réinvestissent aussi. Enfin, il y a depuis 1997, un consensus des pouvoirs publics à travers des dispositifs publics (ISF PME, JEI…) qui soutient cet écosystème. 
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