« Pigeons » : le cri d'alarme d'un fonds américain

La France a démontré sa capacité à développer des modèles internet inovantsSur les trois dernières années, à travers nos investissements dans Showroomprive (numéro 2 de la vente privée en Europe), BlaBlaCar (le leader du covoiturage en Europe) et Shopmium (offre de bons de réduction sur téléphone mobile), nous avons investi plus de 60 millions de dollars dans des start-ups technologiques françaises et contribué à la création de près de 600 emplois. Bien que notre mandat d’investissement soit pan-européen, la France reste un marché très important pour notre fonds et nous continuons à chercher activement de nouvelles opportunités d’investissement.La France est en effet un pays qui a prouvé sa capacité à développer de nouveaux « business model » internet. Quelques exemples : le modèle de « vente privée » développé par VentePrivée et Showroomprivé qui sont actuellement les deux leaders en Europe. Ce modèle a ensuite été copié aux Etats Unis par de nombreuses sociétés comme Gilt Groupe ; le modèle de « reciblage publicitaire en ligne », inventé par Criteo, qui est aujourd’hui présent sur 30 pays avec plus de 3000 clients et dont le succès repose notamment sur son centre de R&D de 10.000m2 situe au cœur de Paris. Criteo a créé près de 800 emplois dont 40% en R&D depuis sa création. La France a aussi été un pays pionner dans le domaine du covoiturage avec le développement de covoiturage.fr qui a réussi à développer une communauté de plus de 2 millions de membres et transporte chaque mois l’équivalent de 1000 TGV. Et la liste est longue, incluant des sociétés comme Free, Meetic, AuFeminin.com, PriceMinister, SeLoger…Le deuxième atout de la France, c’est son vivier d’entrepreneurs internet, qui, fort de l’expérience de la première vague des années 2000, s’est considérablement développé et fortifié ces dernières années. Ceux qui ont réussi ont réinvesti dans l’écosystème, soit directement en tant que « business angels », soit à travers la création de fonds d’amorçage comme ISAI, Kima Ventures ou Jaina Capital, soit en partageant leur expérience sur des forums, des conférences ou l’enseignement. En témoigne la création, en septembre 2011, de l'École Européenne des Métiers de l'Internet (EEMI) par un groupe d’entrepreneurs incluant Jacques Antoine Granjon (Vente-privee.com) et Xaviel Niel (FREE).Finalement, le dernier atout de la France, c’est son infrastructure Telecom, avec notamment la plus forte pénétration « broadband » de toute l’Europe (32.7% pour la France vs. 26.5% en moyenne pour l’Europe selon Eurostat, Jan. 2011).Des amendements insuffisants qui risquent de déstabiliser l’écosystème internetJe ne vais pas revenir sur le projet initial de loi qui souhaitait taxer à près de 60% les plus-values réalisées par les entrepreneurs. Je vais me concentrer sur les amendements proposés par Bercy et pourquoi ces derniers risquent d’affaiblir un écosystème en plein essor et générateur d’emploi.Le premier amendement repose sur le concept d’« entrepreneurs » et repose sur une participation minimale dans la société de 10% et la détention de cette participation sur une durée de deux à cinq ans. Regardons d’abord la participation: la part d’un fondateur dans une entreprise est liée principalement à deux facteurs: le nombre de co-fondateurs initiaux et la dilution générée par les levées de fonds. En imposant un seuil minimum de participation aux entrepreneurs, cette mesure pénalise les équipes de co-fondateurs alors que la combinaison de compétences diverses dans l’équipe fondatrice est souvent une des clés du succès. Elle pénalise également les sociétés qui ont eu du mal à démarrer et ont dû effectuer plusieurs levées de fonds dilutives. Enfin, elle freine le développement des sociétés qui croissent très vite et souhaitent lever des fonds supplémentaires pour supporter leur croissance. Dans notre portefeuille, nous avons certains « fondateurs » qui sont en dessous du seuil de 10% pour certaines de ces raisons : pourquoi les pénaliser et pourquoi introduire des inégalités arbitraires ? Le deuxième critère de durée est également extrêmement pénalisant pour des start-ups qui évoluent dans le milieu très dynamique de la technologie. Prenons un exemple dans notre portefeuille : la société de « jeux sociaux » Playfish a été créée en 2007 à Londres. Elle connaît une croissance explosive (200 emplois créés en deux ans) et est rachetée en 2009, par le géant américain Electronic Arts. Si cette société avait été dans le cadre de la loi proposée, les fondateurs auraient dû soit payer 60% de leur gain en impôts, soit dire à Electronic Arts de prendre patience… Pourquoi les succès rapides devraient-ils être traités différemment des succès qui sont plus lents à venir ?Le second amendement du projet de loi repose sur des abattements permettant de réduire l’imposition sur les plus-values avec le temps sur une durée de six ans pour ceux qui ne rentreraient pas dans le cadre de « fondateur». En plus de reposer encore une fois sur une notion de durée arbitraire qui n’est pas en phase avec le monde des start-ups, cette mesure va avoir pour effet de renforcer les inégalités au sein des équipes des start-ups en créant trois classes différentes: les « fondateurs » qui seront protégés dans certaines conditions, les employés ayant reçu des BSPCE (« stock-options ») qui heureusement ne sont pas touchés par ce projet), et les employés ayant reçu des actions et seront sujets à un régime compliqué d’abattement. Où est la justice sociale promise?Pour finir, l’écosystème des start-ups du web repose sur trois piliers fondamentaux : les fondateurs qui créent les entreprises, les employés qui contribuent à leur développement et le financement apporté par des business angels et des fonds de capital-risque. Ces trois acteurs prennent des risques et contribuent au succès de l’entreprise. Ce projet de loi, au lieu de contribuer à la cohésion et l’alignement des intérêts de ses trois acteurs, vise au contraire à introduire des traitements inégaux qui vont fondamentalement entraîner des déséquilibres et des situations conflictuelles… en plus bien sûr de générer une « usine à gaz » difficile à gérer.Profitons de ce projet de loi pour faire de la France un fer de lance de l’entreprenariat en EuropeAu lieu de vouloir créer une « usine à gaz » et pénaliser start-ups et entrepreneurs, pourquoi ne pas revenir vers la simplicité et proposer un changement qui permettrait à la France de briller au sein de l’Europe ?Si l’on reconnaît que les start-ups doivent être protégées car elles sont en forte croissance et créatrices d’emploi, pourquoi ne pas aller plus loin et leur donner un taux d’imposition stimulant et qui s’appliquerait à tous les actionnaires sans discrimination de niveau de participation au capital ou de temps de détention des parts? Pourquoi ne pas taxer toutes les plus-values des start-ups au taux de 15% ? Non seulement cette mesure dynamiserait l’écosystème français mais elle inciterait également les entrepreneurs et investisseurs des pays voisins à venir en France. Pour restreindre le cadre de cette loi, on pourrait imaginer une limitation aux parts acquises lors des 12 premières années de la société. Après cette date, toutes les transactions seraient imposées au niveau de l’impôt sur les plus-values (quel que soit ce niveau, même si je ne cautionne pas le niveau propose par le gouvernement actuel). Pourquoi 12 ans ? C’est bien sur un seuil à définir, mais si je regarde l’ensemble des 250+ sociétés de notre portefeuille dans le monde, la proportion des sociétés fondée avant 2000 est minime.Cette loi pourrait devenir un atout pour la France. Pourquoi ne pas saisir cette chance ? 
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