Les autoroutes de la démocratie

Trois poumons. L'Europe vit, produit, échange et consomme à travers trois étroits passages maritimes. Un peu plus de 30 kilomètres de largeur entre Douvres et le cap Gris-Nez dans le Pas-de-Calais. Moins de 15 kilomètres entre l'Espagne et le Maroc à Gibraltar. Et moins de... 300 mètres pour assurer le passage des navires qui font la queue jour et nuit sur le canal de Suez. Un canal à nouveau sous le regard des stratèges.La mondialisation, ce n'est pas la photographie figée d'un monde sans frontières. C'est un film montrant les flux croisés de régions du monde en perpétuel mouvement. Des navires qui montent et qui descendent le long des routes du commerce, des avions qui décollent et atterrissent pour relier des pays aux frontières bien réelles. Avec deux réseaux logistiques d'une importance particulière en cette période de transition dans les relations internationales : les autoroutes de la mer d'un côté, les autoroutes numériques de l'autre.Les autoroutes de la mer. De tout temps, le Moyen-Orient a joué le rôle d'un « hub » entre l'Orient et l'Occident. De la mer du Nord à la mer de Chine, une part majoritaire du commerce mondial transite par un chapelet de ports et de détroits dont le Moyen-Orient est le maillon politiquement sensible. La Chine inonde l'Europe de ses produits emballés dans des porte-conteneurs qui privilégient la route du canal de Suez. Le détroit d'Ormuz qui relie le golfe Persique à l'océan Indien voit passer 30 % du pétrole consommé dans le monde. Près de Singapour, entre Indonésie et Malaisie, le détroit de Malacca, le plus encombré du monde, traite à lui seul le quart du transport maritime mondial. Il est un peu le cordon ombilical qui relie l'Europe des consommateurs et le Moyen-Orient des puits de pétrole avec les pays les plus peuplés et les plus impatients de la planète, l'Inde, la Chine, l'Indonésie...Les autoroutes numériques. Plus besoin de prendre en compte les données physiques, on entre ici dans l'univers de l'économie dématérialisée. Les tuyaux réels ou virtuels où circule l'information sont aussi faciles à installer qu'à déplacer. Antenne, satellite, fibre optique ou vieux fil de téléphone, peu importe, il y a toujours un canal pour acheminer un message.Or la révolution de l'information est le prélude aux révolutions politiques. Les événements d'Égypte et les murmures hostiles de la jeunesse de Chine, d'Algérie ou d'Iran le confirment, les régimes autoritaires sont désarmés face au « virus » de la liberté que diffuse la pelote numérique qui enserre l'ensemble de la planète. En Égypte, une coupure Internet a été possible car le pays ne compte qu'un petit nombre de fournisseurs d'accès. Mais elle a pu être contournée avec des moyens télécoms traditionnels. En Europe ou aux États-Unis - malgré la nouvelle législation américaine sur la lutte contre le cyberterrorisme - le pouvoir politique n'a plus le pouvoir de fermer tous les accès à la Toile. Les réseaux sont trop noueux pour être commandés depuis un interrupteur général. Les régimes autoritaires buteront tôt ou tard sur ce mur technique. Leur parade sera le recours aux pratiques ancestrales de l'infiltration et de la manipulation des cercles réfractaires mais le libre message, lui, continuera à circuler.Les manifestants du Caire ont trouvé une formule qui résume à elle seule le choc politique que provoque la mondialisation des sons et des images dans un pays non démocratique. « Si votre gouvernement décide de couper votre Internet, c'est qu'il vous faut changer de gouvernement... » Formule innocente mais piège habile.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.