Les cinq enseignements du scrutin belge

C\'est l\'histoire d\'un Etat dont l\'homme politique le plus populaire demande l\'abolition. Celle d\'un pays dont le premier parti, le plus représenté au Parlement (fédéral), n\'exerce pourtant aucune responsabilité fédérale. Celle d\'un port, Anvers, le deuxième plus grand d\'Europe, qui tire une véritable rente sur le marché européen et qui vient néanmoins d\'élire à sa tête un défenseur des contrôles aux frontières intérieures de l\'Union européenne (UE). C\'est une histoire à dormir debout. Une histoire belge, en somme. Le scrutin communal de dimanche confirme l\'ascension des indépendantistes flamands de la N.VA dans le firmament politique belge. Il bouscule le Royaume car avec 58% des Belges votant en Flandre, les soubresauts de la politique flamande décident de l\'avenir du pays. 1. Les indépendantistes vont devoir « se mouiller »Cette fois-ci, fini le confort de l\'opposition. Il va devoir gouverner. Avec 23 des 55 sièges du conseil communal d\'Anvers et près de 38% des voix, la N.VA de Bart de Wever va prendre la tête d\'une coalition, avec tout ce que cela implique de compromis voire de compromissions pour un parti en rupture avec l\' « establishment » politique belge. La dure loi de l\'arithmétique postélectorale reprend donc ses droits sur la pure joie de la victoire. Se marier avec les frères ennemis du Vlaams Belang est improbable et serait insuffisant vu leur score médiocre. L\'extrême gauche (troisième parti du scrutin), les Verts ou les Libéraux préfèreront l\'opposition. Bref, il va falloir probablement faire alliance avec le parti socialiste du maire sortant Patrick Janssens.2. Les limites de la stratégie du « cordon sanitaire »Jusqu\'à la semaine dernière, Anvers était dirigée par une coalition de six partis dont le programme pouvait se résumer à « tout sauf la N.VA ». L\'élection a montré les limites de ce « cordon sanitaire » qui avait fait de la N.VA la seule alternance possible. Le succès des indépendantistes flamands sanctionne aussi la stratégie du reste de la droite qui a cru stopper sa montée en surfant sur la vague nationaliste. Or en politique, comme le veut l\'adage, on préfère toujours l\'original à la copie. Cette stratégie a été particulièrement fatale aux libéraux de l\'Open VLD et, dans une moindre mesure, aux démocrates-chrétiens. Ces erreurs ont fait disparaître les clivages politiques classiques pour laisser la place à une scission entre le Nord nationaliste et un Sud plus à gauche que jamais. En Wallonie, les succès du PS et, dans une moindre mesure, du PTB, le parti des travailleurs belges dont le discours reprend la rhétorique socialiste du siècle dernier, renforcent le Premier ministre socialiste Elio di Rupo.3. Vers une nouvelle crise politique fédérale ?La poussée de la N.VA n\'est pas une surprise puisque le parti était déjà arrivé devant tous les autres, en nombre de voix, aux régionales de 2009 et aux législatives de 2010 mais il était toujours resté à l\'écart des responsabilités tout en tirant les ficelles lors des interminables négociations de 2010-2011 pour la formation d\'un gouvernement fédéral (541 jours de « crise » politique). Gageons qu\'après les élections nationales de 2014, les choses ne seront pas plus simples qu\'en 2010-2011, si le succès de la N.VA se confirme. Bart de Wever semblait même vouloir dimanche ouvrir des négociations sur la réforme politique de la Belgique en appelant « Elio di Rupo et les hommes politiques francophones... à engager avec nous une réforme confédérale du pays ».4. Les ambigüités du confédéralisme flamandMais au fait, c\'est quoi la Belgique selon de Wever ? Pendant la crise politique de 2010-2011, le quadragénaire annonçait l\' « évaporation » de l\'Etat belge. La monarchie parlementaire mise sur pied en 1815 devrait donc disparaître d\'elle-même, sans son aide ? Le patron de la N.VA l\'assure tout en disant qu\'il souhaite voir ce « processus » arriver « à son terme », lequel consisterait dans la création de deux pays indépendants (Bruxelles étant rattachée à la Flandre, bien sûr) ayant leur place en Europe. Le fait est que chaque coalition au pouvoir depuis les années 1960 a fait progresser la fédéralisation du pays, au point qu\'il n\'y a plus que quelques fonctions régaliennes gérées au niveau national, comme la défense, la justice, une grande partie de la fiscalité, ainsi que la solidarité sociale (chômage, retraite), cette dernière étant première sur la liste des prochaines compétences à régionaliser.5. Quelles conséquences pour le reste de l\'Europe ?Tant que le gouvernement fédéral reste en place, les élections de dimanche ne sont rien d\'autre qu\'un coup de semonce et un signal supplémentaire de la montée du nationalisme en Europe. Pour l\'instant, la politique européenne d\'Elio di Rupo et de sa coalition fédérale est à mille lieux des positions de Bart de Wever qui déclarait il y a peu : « L\'Allemagne est le flamand de l\'Europe ». Traditionnellement, la Belgique est en pointe sur tout ce qui encourage la solidarité entre pays européens et le renforcement des institutions européennes dont la première est gouvernée par un Belge, Herman van Rompuy, qui n\'est lui-même pas toujours sourd aux sirènes nationalistes flamandes. Avec la N.VA au gouvernement fédéral après 2014, même si cela reste hypothétique, les choses changeraient-elles ? Ces dernières années, Bart de Wever a troqué une ligne très europhile pour des positions plus critiques au sujet d\'une fiscalité européenne propre ou des transferts entre pays, au point de virer à l\' « euroscepticisme », selon l\'universitaire gantois Hendrik Vos. En attendant, les blocages récurrents de la politique belge ont déjà fait une victime : la ville de Bruxelles, notoirement sous-financée et mal gérée, où Francophones et Néerlandophones se livrent une guerre d\'influence larvée depuis des décennies.
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