Alors que le pire de la crise financière semble s'éloigner, ...

Le premier ouvrage, « Jours de colère. L'esprit du capitalisme », fruit de la réflexion de deux économistes, Pierre Dockès et Marc Guillaume, auxquels se sont associés l'Américain Francis Fukuyama et le philosophe allemand Peter Sloterdijk, s'interroge sur le « grand retournement » auquel nous assistons, celui de « l'esprit du capitalisme », assimilé depuis le XVIIIe siècle à celui de progrès. Désormais, l'« économisme » et le « technologisme » ont placé le profit et la course à la croissance matérielle au c?ur de la mondialisation, rompant le vieux « pacte prométhéen » alliant, dans l'espoir d'un avenir meilleur, l'économie, la science et la technique.Évidemment, cela ne s'est pas produit brutalement. De crises en bulles, des lézardes sont apparues. Mais tout a vraiment commencé, selon les auteurs, avec la chute de l'URSS, et le triomphe d'un capitalisme qui a succombé à l'avidité, cette « maladie de l'obèse ». C'est ce qu'analyse magistralement Peter Sloterdijk, en s'appuyant sur l'initiation au capitalisme spéculatif des pays de l'Est et les déboires souvent dramatiques de Russes, Polonais ou Albanais pris dans la nasse de jeux financiers montés par des escrocs, les fameuses « pyramides de Pozzi ». Des « fantasmes du bonheur » à la mesure des peurs accumulées durant la période communiste. Cette mise en garde contre la folie financière date de l'été 2007. Peu après, éclatait la crise des subprimes et le dernier avatar des pyramides de Pozzi, avec l'affaire Madoff, preuve que même une élite occidentale éduquée peut se laisser aveugler par l'appât du gain facile.Autant dire que les auteurs plaident en faveur d'un nouvel ordre passant par le retour à plus ? ou mieux ? d'État et de régulation mais surtout en repoussant l'économie à la périphérie de la mondialisation, après lui avoir trop longtemps laissé une place centrale. Venant d'économistes, le constat ne peut laisser indifférent. Mais pour les quatre auteurs, sans une nouvelle « philosophie politique », c'est le complexe équilibre des sociétés qui pourrait être remis en cause. Dans « la Peur du déclassement », Éric Maurin le confirme, en se concentrant sur cette « société de statut » social qu'est toujours la France. Plus que dans les pays anglo-saxons ou scandinaves, les Français restent attachés à ce mélange fait d'emploi, de salaire et de prérogatives qui dessinent un statut longtemps octroyé à vie, voire héréditaire? Si l'on accepte ce constat, fondé sur une « vieille société inégalitaire et hiérarchique », les arguments de l'auteur ouvrent de nouvelles pistes de réflexion. Car selon lui, plus que le « déclassement », c'est la « peur » de cette perte de « dignité sociale » qui taraude les Français, explique un pessimisme sans précédent, voire le « non » au référendum sur le traité européen de Lisbonne.Bien sûr, Éric Maurin ne nie pas la réalité même des « déclassements », évidents lors des périodes de crises et qui n'épargnent plus les cadres. Mais son analyse de la sociologie des récessions menée sur le triple registre social, psychologique et politique est éclairante. Face à la montée du chômage, la réaction politique a été, comme lors de la première crise pétrolière en 1974 ou lors de la récession de 1994, de renforcer la protection des salariés. Résultat paradoxal, cela n'a fait qu'aggraver la sourde crainte de perdre son rang parmi les bénéficiaires d'un emploi. En outre, les familles étant angoissées à l'idée de devoir « reconquérir leur statut à chaque génération », la peur a gagné les esprits, mauvaise conseillère lorsqu'il s'agit de mener à bien des réformes. Cette angoisse multiforme constitue un vrai défi politique. Car il ne s'agit pas de l'affrontement de « la France du haut » et de la « France du bas » mais plutôt d'un clivage entre les fractions de la population les plus protégées, à tous les niveaux de la société, et les plus exposées aux aléas du marché du travail. Auquel s'ajoute une convergence inédite entre les classes moyennes du privé « menacées d'un déclassement effectif » et celles du public « menacées d'un déclassement symbolique ». Or si la peur peut se révéler un aiguillon, elle peut aussi devenir paralysante. Voire « signer l'arrêt de mort » d'une société.Comment l'éviter ? En avançant prudemment, recommande Éric Maurin, conscient de la difficulté de faire évoluer les mentalités. Mais aussi en favorisant l'intégration sociale de ceux « qui n'ont pas, ou plus, de statut ». Ce qui implique? de bousculer notre vision de la réussite sociale. Rien de moins.Récemment, François Dubet annonçait la fin de la société traditionnelle, avec ses normes et ses codes rassurants pour le progrès et l'intégration sociale. Refusant le double piège de leur réification ou de leur disparition, le sociologue en appelait à un « travail des sociétés » pour faire naître une « cohésion sociale » complexe mais imaginative. Un vaste programme auquel l'ouvrage d'Éric Maurin et l'essai sur l'« esprit du capitalisme » apportent, chacun à sa façon, sa pierre et sa part de réflexion.Françoise Crouïgneau « Jours de colère. L'esprit du capitalisme » par Pierre Dockès, Francis Fukuyama, Marc Guillaume et Peter Sloterdijk, éditions Descartes & Cie, 159 pages, 17 euros.« La peur du déclassement » par Éric Maurin. Éditons du Seuil, coll. La République des idées, 94 pages, 10,50 euros.« Le Travail des sociétés », éditons du Seuil, par François Dubet, 349 pages, 21 euros.La montée de la colère et de la peur met au défi nos société
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