... Et fait sa révolution culturelle

« Au début, personne ne nous a pris au sérieux ». Michael Quadt se souvient avec amusement des moues dubitatives qui ont accompagné la candidature d'Essen au titre de capitale européenne de la culture. « En face de nous, il y avait des villes historiques comme Cologne, Munster ou Brême, il y avait aussi Görlitz, en ex-RDA, qui, 20 ans après la réunification était la grande favorite », énumère-t-il. Et pourtant, c'est bien Essen, l'ancienne plus grande ville minière d'Allemagne, qui aujourd'hui partage cet honneur avec Istanbul et ses 2700 ans d'histoire. Sans complexe et sans exclusive. Essen n'est en effet que le porte-drapeau de toute une région, souvent oubliée en Allemagne même malgré son importance démographique : la Ruhr. « Les statuts ne permettent pas de présenter la candidature d'une région, mais Essen n'est que le représentant officiel des 53 villes de la région », rappelle Michael Quadt. En effet, le programme officiel se déroule aux quatre coins de cette métropole de 50 km de long sur 20 de large. Clubs de foot rivauxC'est déjà la plus grande réussite de cette manifestation : avoir réuni les 53 communes et les 5,3 millions d'habitants de l'ancien bassin minier autour d'un même projet. Une unité qui fait cruellement défaut au niveau politique, économique et social. Jusqu'à récemment, les querelles de clochers n'étaient pas rares et elles existent encore. Le football, qui porte la rivalité ancestrale entre les clubs de la région, en est la preuve. Les jours de matchs entre les deux clubs rivaux du Borussia Dortmund et de Schalke 04 de Gelsenkirchen, deux villes distantes de 25 km, l'unité de la Ruhr s'évanouit rapidement. Et lorsque l'on évoque avec des responsables communaux d'Essen la possibilité de partager des infrastructures avec les villes voisines, on s'expose à un sourire poli, mais sans équivoque. En réalité, affirme Fritz Pleitgen, le président du comité d'organisation de Ruhr 2010, « cette métropole a une identité commune, elle a été créée et formée par la révolution industrielle, elle a vécu le même destin, c'est sur ce point que nous voulions insister pour que cette vérité devienne consciente». Pique nique géantPour les habitants de l'agglomération, cette année sera donc l'occasion de découvrir leur propre culture et les liens avec leurs voisins, comme lors de ce pique-nique géant sur l'A40, l'autoroute légendaire pour ses bouchons qui traverse de part et d'autres la Ruhr, et qui a été l'occasion de réunir sur 40 km les riverains. Ou bien ces ballons jaunes qui flottent sur l'ensemble des anciennes mines. « Beaucoup ont à la fois découvert des lieux qu'ils ne connaissaient pas et ont compris ce qui les reliaient aux communes voisines », explique Michael Quadt. Ou encore cette « odyssée théâtrale » : cinq pièces inédites écrites par des auteurs européens données dans cinq villes différentes selon un parcours qui invitait les spectateurs à vivre leur propre odyssée au sein de l'agglomération. Esprit créatifMais la Ruhr assume aussi son nouveau statut européen et se veut fière de sa propre culture. « Nous voulons porter l'idée originale d'une métropole polycentrée, et montrer que ce type urbanistique a sa vitalité propre », revendique Fritz Pleitgen qui ajoute que l'esprit créatif en Allemagne ne se réduit pas à Berlin. La culture joue en effet dans la métropole un rôle essentiel pour dépasser les a priori et les blessures du passé. Rien ne peut mieux le prouver que le slogan de Ruhr 2010 : « le changement par la culture et la culture par le changement ». La culture a été ce qui a résisté lorsque les mines ont été fermés et que les usines ont licencié, dans les années 1980 et 1990. Une Tour Eiffel Les anciens puits sont devenus des monuments, comme le plus connu, le Zeche Zollverein, à Essen, devenu un centre culturel inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2001, « la Tour Eiffel de la Ruhr », comme on dit ici. Mais le phénomène avait débuté bien avant : le Zeche Carl dans le quartier pauvre d'Altenessen avait donné le signe de cette mutation dès la fin des années 1970. Cette expérience de la reconversion, la Ruhr veut en faire un modèle. « Nous avons surmonté cette période difficile et, malgré les problèmes qui subsistent, nous voulons montrer à l'Europe que la culture a été le carburant de cette réussite », résume Fritz Pleitgen. La culture de la Ruhr, c'est l'industrie, mais aussi la diversité qui l'a accompagné, celle des "Gastarbeiter", ces immigrés venus de Turquie, de l'ex-Yougoslavie ou d'Afrique. Avec ses 170 nationalités qui vivent dans une bonne entente au regard des autres agglomérations allemandes et européennes, la région a voulu insister sur son caractère de creuset culturel et sur les liens qui l'unissent, par le biais de la communauté turque à son homologue d'un an, Istanbul. Salle de spectacleEn donnant la parole aux artistes locaux, en insistant sur « l'économie de la création », en créant de nouveaux lieux dédiés à la culture, les organisateurs espèrent faire changer l'image de la Ruhr. L'inauguration du Musée Folkswang installé dans un bâtiment de l'architecte David Chipperfield, mais aussi celle, prochaine, du « U » de Dortmund, une ancienne brasserie qui deviendra une salle de spectacle, sont les symboles de cette volonté d'inscrire la Ruhr au nombre des destinations touristiques d'Allemagne. « les gens conçoivent encore la Ruhr comme un simple lieu de transit, nous, nous voulons qu'ils s'y arrêtent », résume Fritz Pleitgen. L'enjeu est de taille : donner grace à l'économie culturelle un nouveau souffle à la région. Passeport pour les écoliersReste à convaincre. Wolfgang Freye, responsable local du mouvement politique Die Linke, regrette ainsi qu'en dépit de ces belles paroles, les créateurs locaux n'aient pas accès au programme officiel. « Tout part du haut pour aller vers la base », regrette-t-il. Dans les Kneipe, ces bistrots locaux, la réputation de bonhommie des habitants du « Pott » comme on appelle ici le bassin minier demeure intacte, mais le titre de capitale culturelle ne déchaine guère les passions. Conscient de cette indifférence, Michael Quadt insiste sur les initiatives pour faire participer les habitants, comme ce passeport pour les différentes manifestations accordée aux écoliers de la ville. Il se félicite également que le statut de capitale européenne de la culture provoque une certaine créativité hors du programme officiel. « J'ai pu assister à des initiatives intéressantes où nous n'avions aucune part, mais qui venaient des habitants eux-mêmes, c'est une conséquence de notre statut », se réjouit-il. Quant aux Allemands et aux Européens, Michael Quadt affirme qu'il est trop tôt pour faire un bilan, mais il se veut optimiste. « Les gens qui viennent ici sont surpris par ce qu'ils voient et vivent, c'est ce que nous voulions », conclut Fritz Pleitgen.
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