« On va vers des ajustements ou une crise sociale d'ampleur »

Bettina Laville, vous êtes fondatrice du Comité 21 et avocate chez Landwell PwC. « Le monde ne sera jamais plus comme avant », a-t-on beaucoup entendu. Partagez-vous ce diagnostic ?Oui, mais la crise financière a été une des illustrations du basculement du monde qui a commencé à la fin du XXe siècle. Après le 11 septembre 2001 et le cyclone Katrina d'août 2005, rien ne sera effectivement plus jamais comme avant. Tous ces événements ont révélé l'ébranlement du système américain, et d'un certain capitalisme monétaire et financier, dont les États-Unis ont du mal à se remettre. La crise de confiance dans la finance a aussi été une crise de confiance dans tout ce que représentait le modèle américain. Seulement, ce qui me frappe, c'est qu'à partir du moment où les états sont intervenus en sauveurs du monde, la vertu pédagogique de la panique semble s'être volatilisée. Comme si la crise n'avait pas été assez longue pour véritablement porter. Quant aux pays émergents, vont-ils accepter de se plier aux nouvelles règles de la finance au moment où ils sont en train d'accéder à la richesse ?L'épuisement des ressources naturelles et l'explosion des prix des matières premières en 2007-2008, font-ils, eux aussi, partie de la grande crise de fin de siècle que vous avez évoquée ?Il est clair que toutes les crises sont mêlées. Il y a une démesure dans l'utilisation non maîtrisée des ressources, au moment même où elles deviennent rares. Et ce d'autant que les populations les plus nombreuses veulent à leur tour accéder aux modes de consommation des pays riches. Mais cette crise de la démesure a aussi généré une crise du sens : les individus eux-mêmes se trouvent de plus en plus écartelés entre des aspirations à certaines valeurs, comme par exemple des valeurs de décrochement qu'ils jugent nobles, et les exigences de rendement auxquels ils se soumettent dans leur travail, et ce avec une mobilité et une souplesse accrue, pour assurer leur train de vie. De cette schizophrénie naît un nouveau sentiment d'aliénation.Comment voyez-vous cette tension se résoudre dans le « monde d'après » ?Soit par des ajustements au sein même du capitalisme, qui verraient les acteurs intégrer progressivement les normes de responsabilité sociale et environnementale. Soit, on ira tout droit vers une crise beaucoup plus grave, une crise sociale de grande ampleur, dont celle que nous connaissons aujourd'hui n'est qu'une répétition générale. Et avec la mondialisation, c'est-à-dire l'instantanéité des mouvements de même nature dans le monde, ce serait dévastateur. Une seule chose est sûre : les effets de la crise ne se sont pas faits tous sentir, et les grands changements sont en marche.Propos recueillis par V. S.Bettina Laville
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