« Les économies européennes doivent rouler sur la même autoroute »

Que faut-il faire pour que l'Europe joue encore un rôle important dans le monde multipolaire de demain ?L'exemple de ce qu'il ne faut pas faire, c'est Copenhague. Lors de la conférence mondiale sur le climat, il y avait dix représentants de nations européennes différentes. Autour de la table de négociation où se trouvaient réunis l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud, le Brésil, il restait une place et c'est le président Obama qui l'a prise. Les dix européens ne pouvaient même pas entrer dans la salle, et ils ont été exclus du compromis final. En revanche, l'Organisation mondiale du commerce est le bon exemple. Le commissaire européen représente l'ensemble de l'Union. Il peut négocier au nom d'un demi-milliard de consommateurs, et on l'écoute. La crise grecque a-t-elle servi de révélateur ?Nous n'avons pas de gouvernance économique et sociale. Comment faire fonctionner la monnaie unique dans ces conditions ? Le monétaire, c'est bien, mais il manque un pilier socio-économique. Jacques Delors avait pressenti tout cela il y a près de vingt ans. La stratégie de Lisbonne était censée tenir lieu de gouvernance commune mais la coordination ouverte, l'évaluation par les pairs, les bonnes pratiques, tout ça n'a pas marché. Résultat, après dix ans de stratégie de Lisbonne, la distance entre l'économie allemande et l'économie grecque n'a pas diminué mais augmenté. Créer cette gouvernance économique est devenu une nécessité absolue. Comment pourrait fonctionner cette gouvernance ?Il ne s'agit pas d'harmoniser toutes les économies, évidemment, mais de définir des valeurs minimales et maximales dans différents domaines. Par exemple, pour l'innovation, il faut consacrer au moins tel pourcentage du PIB à la recherche et développement ; pour les retraites, il faut aller dans telle direction par étapes ; pour le marché du travail, les réformes devraient viser tel résultat. Je vois ça comme une sorte d'autoroute sur laquelle les États rouleraient sans pouvoir trop dévier à droite ou à gauche, de sorte que leurs économies se développent dans le même sens, mais chacune à son rythme, avec des délais d'adaptation. On obtiendrait ainsi la souplesse nécessaire tout en facilitant la convergence économique et sociale. Que pensez-vous de la nouvelle gouvernance de l'Union ?Il est un peu tôt pour juger. Certains ironisent en disant qu'il y a encore plus de numéros de téléphone qu'avant (vous connaissez la boutade de Kissinger : « Pour joindre l'Europe, quel numéro composer ? »), mais nous sommes dans une phase de transition. Le plus urgent c'est de créer le Service d'action extérieure pour permettre au haut représentant, Mme Catherine Ashton, de fonctionner. Au Parlement européen (qui est codécideur avec le Conseil et la Commission), nous voulons obtenir un Service d'action extérieure ambitieux, qui regroupe les grands dossiers tels que la politique de voisinage, l'aide humanitaire d'urgence, la coopération, pour en faire quelque chose de cohérent et d'efficace.Vous avez longtemps siégé au Conseil en tant que Premier ministre de Belgique ; vous voilà de l'autre côté de la barrière, au Parlement. Cela change votre point de vue ?Non, j'ai toujours été un proeuropéen convaincu qui prêchait dans le désert, puisque le Conseil est par nature le syndicat des intérêts nationaux. Au Parlement européen, j'arrive au bon moment : depuis l'entrée en vigueur du nouveau traité, il est devenu codécideur dans plus de 80 domaines. Nous avons notre mot à dire sur pratiquement tout, soit directement, soit par le biais du budget. Avec les chefs des autres grands groupes, le Parti populaire européen et les socialistes, nous gérons une institution qui est désormais sur un pied d'égalité avec le Conseil. Nous avons créé une majorité « proeuropéenne » qui jugera toutes les propositions qui viennent de la Commission et du Conseil en fonction de ce critère : est-ce que ça fait avancer l'Europe ? Si c'est oui, nous serons pour, si c'est non, nous serons contre. De plus en plus, on fait de la politique, ici, au Parlement. Propos recueillis par Sophie Gherardi VISIONS DE L'EUROPE Guy Verhofstadt Président du groupe libéral au Parlement europée
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