JLSS s'en prend

Lorsqu'il était patron du groupe Expansion, Jean-Louis Servan-Schreiber avait créé des séminaires de « gestion du temps » afin que les managers toujours pressés optimisent leurs journées. Le temps a passé, et aujourd'hui, le même JLSS, sectateur des sagesses orientales en tout genre, dénonce le « court-termisme », ce syndrome de la société moderne qui sacrifie l'avenir au présent immédiat.« Le progrès nous a joué un drôle de tour », constate-t-il. « Apparemment, il a tout fait pour nous libérer du temps, nous permettre de l'utiliser au mieux, et pourtant nous continuons à y vivre à l'étroit. [...] Pourquoi continuons-nous à trouver que tout va trop vite, que nous sommes débordés, que nous ne parvenons pas à faire tout ce qui est nécessaire, sans parler de ce que nous aimerions accomplir?? »Il est vrai que, depuis le développement des technologies au XIXe siècle, l'accélération du temps est un thème récurrent. Mais avec l'Internet haut débit, les fonds de pension qui réclament une rentabilité quasi immédiate, les chaînes d'information en continu, les amis vite trouvés sur Facebook, les « speed dating » et autres fast-foods, la « pandémie du court terme » selon la formule de JLSS s'est propagée à la vitesse grand V. Avec les risques qui en découlent.En politique par exemple. Alors que François Mitterrand conseillait de « donner du temps au temps », Nicolas Sarkozy s'est fait, du moins dans les premiers temps de son quinquennat, le chantre du « gouverner en direct live ». « Dans une démocratie complexe comme la nôtre, concède Jean-Louis Servan-Schreiber, l'accélération peut s'expliquer par la crainte d'un enlisement. » Mais la vitesse entraîne « une usure accélérée du pouvoir politique [...] car le court-termisme ronge la légitimité issue du suffrage ». La finance et l'entreprise sont bien évidemment rongées par cette dictature du court terme. La finance est court-termiste par nature, puisqu'elle est spéculative. On l'a bien vu durant la dernière crise. Mais elle a déteint sur le fonctionnement des entreprises. « En indexant la gestion de l'entreprise sur des variations quotidiennes, on a pris le risque de pousser les managers à un court-termisme extrême, en contradiction avec l'intérêt des actionnaires qui est davantage la valeur durable », commente JLSS. Il poursuit sa liste des dommages du court-termisme en examinant ce qu'il a changé dans la vie quotidienne (« acheter plus, plus vite, plus souvent ») et les relations aux autres (« la vie amoureuse transformée en une série de CDD »).Mais l'intérêt de ce court essai - pour lecteurs pressés - tient moins dans ces constats finalement assez communs que dans la signification du court-termisme. L'écrivain Milan Kundera voyait ironiquement dans la vitesse « la seule nouvelle extase » offerte par le monde moderne. JLSS n'est pas loin de cette analyse?: « Le court-termisme est notre compagnon quotidien car nous le trouvons commode. Plus l'avenir est incertain, moins nous avons envie de le scruter. » Les lecteurs habituels de JLSS seront cependant déçus?: il ne donne aucune recette pour échapper à la pandémie.Patrick Coquidé « Trop vite ! Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme », Jean-Louis Servan-Schreiber, Albin Michel, 199 pages, 15 euros.
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