Ces low-cost qui se la jouent haut de gamme

New York, 21 novembre 2009. Aéroport John-Fitzgerald-Kennedy (JFK) dans le tout nouveau et luxueux terminal 5. Des voyageurs quittent le 5ive Steak, un restaurant où se cachent des Petrus 1999 à 2.400 dollars la bouteille, pour aller embarquer dans un Airbus flambant neuf. Les sièges en cuir sont confortables, l'espace pour étendre ses jambes aussi. Un passionné de football a le sourire. Sur l'une des 36 chaînes de télévision, il pourra regarder en direct la deuxième mi-temps du premier match joué par Thierry Henry (Bilbao-Barcelone) depuis la polémique autour de sa « main » contre l'Irlande trois jours plus tôt. Ce n'est pourtant pas un avion d'une luxueuse compagnie du Golfe. Ni l'A380 d'Air France qui sommeille à quelques centaines de mètres sur le tarmac avant son premier décollage de JFK. Mais celui d'une « vulgaire » low-cost, dénommée JetBlue. Une compagnie créée il y a tout juste dix ans, aujourd'hui deuxième low-cost américaine et septième opérateur national avec ses 151 avions moyen-courriers. Le prix moyen de ses billets aller simple avoisinait 125 dollars TTC en 2009, un tarif abordable pour des vols pouvant durer jusqu'à cinq heures. Ce qui n'empêche pas la compagnie de se placer parmi les meilleures pour la qualité de ses services, pour l'essentiel gratuits.La compagnie new-yorkaise le sait et le dit. « JetBlue gives you more », lit-on à bord de ses avions sur les serviettes en papier. Le slogan vaut aussi bien pour ses services à l'aéroport, où la compagnie dispose d'infrastructures neuves, qu'à bord de ses avions flambant neufs, de moins de quatre ans de moyenne d'âge.« JetBlue est une low-cost avec un produit premium », se réjouit Otto Benz, directeur Europe de Lufthansa, qui a raflé 17 % de son capital en 2008. De fait, l'espacement entre les sièges (34 pouces) est équivalent à celui de? la classe affaires moyen-courrier de British Airways ou de Lufthansa et même supérieur à celui d'Air France (32 pouces). Mieux, pour 10 dollars de plus, le client peut bénéficier d'un espacement encore plus large (38 pouces), disponible sur les six premières rangées de sièges de l'appareil, non séparées du reste de la cabine. Presque autant que sur les premières classes des B737, MD80 ou B757 d'American Airlines, utilisés sur le réseau domestique. La télévision est proposée gratuitement, ainsi que 100 stations de radio. Pas de restauration à bord certes, mais les chips, biscuits et boissons sont offerts (à l'exception des alcools) et servis à volonté, alors que la plupart des compagnies classiques les facturent. Au final, les options payantes sont très limitées (écouteurs, coussins, certains films, alcools).Aux États-Unis, la plupart des low-cost présentent peu ou prou le même profil. En particulier celles nées, elles aussi, au cours des douze dernières années comme AirTran (créée certes en 1994 mais remodelée entièrement en 1998 après sa fusion avec ValueJet) et surtout Virgin America en 2007. La première propose une classe affaires, la seconde, une première classe impressionnante ! Même Southwest, la plus ancienne (elle a été créée en 1971) et la plus grande low-cost américaine (550 avions), tire son épingle du jeu dans ce domaine. Certes, le discounter de Dallas n'atteint pas le niveau de services de ses cons?urs. La durée moyenne de ses vols (1?h?55) ne l'y pousse pas. Mais le nombre de ses options payantes est là aussi extrêmement réduit.De quoi tordre le cou aux clichés tenaces. En particulier en Europe, où les low-cost américaines sont le plus souvent décrites comme des bétaillères sans aucune prestation gratuite à bord, alors qu'elles surpassent en fait les compagnies traditionnelles comme American Airlines, Delta, United, Continental mais aussi les transporteurs européens qu'ils soient classiques ou low-cost. « Aux États-Unis, c'est le monde à l'envers, ce sont les compagnies traditionnelles qui multiplient les options payantes pendant que les low-cost jouent la carte du service », explique un analyste. « Leurs avions sont globalement plus jeunes, leur service est supérieur ou au moins équivalent à celui des compagnies classiques, le tout pour un prix inférieur », ajoute-t-il en confiant une anecdote révélatrice de l'état d'esprit qui anime ces compagnies. « Sur un vol de Southwest, mon voisin a renversé son café sur mon costume, le steward m'a offert un voucher pour l'apporter au pressing. » Une attention digne de celle des compagnies asiatiques.Dévier autant du modèle originel low-cost pénalise-t-il ces compagnies ? Pour l'heure, non. À l'exception de Frontier, contrainte au dépôt de bilan l'été dernier et achetée par Republic Airways (le comble est que Frontier est l'une de celles qui pratiquent le plus d'options payantes), les autres low-cost résistent, dans leur ensemble, mieux que leurs rivales traditionnelles. Il faudra attendre, pour le vérifier, les résultats annuels des compagnies qui seront publiés dans les jours à venir, JetBlue étant l'une des rares à viser un profit. Mais c'est le constat qui ressortait du troisième trimestre, durant lequel JetBlue et AirTran ont été les seules outre-Atlantique à publier un bénéfice net. Certes léger, puisqu'il s'élevait à 15 et 10 millions de dollars respectivement, mais la performance n'est pas négligeable si l'on songe que la quasi-totalité du secteur a plongé dans le rouge. Même Virgin America, lancée il y a deux ans à peine, a publié un bénéfice d'exploitation (hors exceptionnels).En fait, le jeu de la qualité ne constitue pas un handicap. Car la faiblesse des coûts des low-cost ne provient pas d'économies de bouts de chandelle sur le service. Elle résulte plutôt de la très forte productivité des avions (ils volent près de douze heures par jour) permettant de répartir les coûts fixes sur un plus grand nombre d'heures de vols. Mais aussi de la jeunesse de leur flotte (souvent achetée en forte quantité à des prix cassés), moins gourmande en kérosène. Ou encore des faibles coûts des retraites en raison de la jeunesse de ces compagnies et de leur personnel. Sans oublier la flexibilité du travail, du fait de la faible (voire inexistante) syndicalisation du personnel (sauf chez Southwest).Mieux, avec l'accent mis sur la qualité de service, ces nouvelles compagnies touchent de plus en plus la clientèle professionnelle. Et elles peuvent donc augmenter leurs prix. Les low-cost ont trouvé là un nouvel avantage « compétitif » face aux transporteurs traditionnels, qui, après maintes restructurations ces dernières années (le plus souvent à travers le chapitre 11), ont réussi à rapprocher leurs coûts de ceux des low-cost. « La différence de coûts s'est en effet réduite », admet-on à la fois chez JetBlue et Southwest. Mais si les prix se sont ainsi harmonisés entre les compagnies historiques et leurs jeunes rivales, la moindre qualité de services des premières favorise les secondes.Fabrice GliszczynskiChris MUELLER/Redux-REA
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