Marchés  : rompons l'engrenage de la peur

Nous vivons actuellement le quatrième acte d'une tragédie financière hantée d'un bout à l'autre par le spectre de l'implosion générale du système. Acte I : les banques américaines accumulent à leur actif des titres de dette toxiques dont la liquidité s'effondre après l'implosion de la bulle immobilière américaine ; ceci dégénère d'abord en crise bancaire, puis, finalement, en une crise financière globale après la faillite de Lehman. Acte II : les États du G10 volent au secours du système financier pour le sauver du précipice puis engagent des dépenses colossales pour restaurer la croissance ; les dettes publiques, déjà importantes avant la crise, atteignent des niveaux records. Acte III : devant l'ampleur des déficits budgétaires et la dynamique inquiétante de la dette publique, les détenteurs d'obligations souveraines sont saisis de panique ; une crise de dette souveraine se déclare dans les pays de l'est de l'Europe, en Ukraine, à Dubaï, puis dans les pays du sud de l'Europe (notamment la Grèce, le Portugal et l'Espagne).Acte IV : les obligations ? devenues à risques ? de la Grèce, du Portugal et de l'Espagne menacent les banques européennes qui les détiennent, le système financier global est à nouveau mis en danger ; le week-end dernier, les pays de la zone euro décident alors que les contribuables, cette fois-ci européens, viendront à nouveau au secours des banques en garantissant les obligations des pays les plus à risques de la zone euro ; la BCE se résout, quant à elle, à soutenir les obligations grecques, espagnoles et portugaises en les achetant directement sur le marché. Sauvées du gouffre, les banques européennes voyaient avant-hier leurs actions remonter de plus de 20 %, tandis que les trois moutons noirs de la zone euro pouvaient à nouveau se financer à bas coût sur les marchés... L'acte V sera-t-il une crise de défiance de la dette de l'ensemble de la zone euro qui aboutira à une déflagration bancaire beaucoup plus grave encore que l'avertissement de la semaine dernière ? Sont-ce alors le Royaume-Uni ou les États-Unis, déjà surendettés, ou bien encore la Chine, désireuse de soutenir ses immenses réserves d'obligations occidentales, qui se porteront garants du système ?Pouvons-nous arrêter cet engrenage à cause duquel les États restant solvables endossent les pertes des banques imprudentes avant de tomber à leur tour, provoquant des crises bancaires plus graves encore ? Dans un système financier interconnecté et opaque, où chaque problème de solvabilité bancaire menace de contaminer immédiatement l'ensemble des acteurs et des marchés, l'aléa moral est à son apogée et le contribuable demeure à jamais l'otage des banques. Ces dernières ont trop bien compris que le risque systémique était désormais leur assurance tous risques... Quelques principes simples permettraient d'assainir ce système délétère :1. Une entité (État, banque, assurance) n'arrivant plus à se financer sur le marché doit engager un processus de restructuration de sa dette, ou de dévaluation ? pour un État  ?, quand elle est possible. De cette manière, les créanciers assument les pertes pour éviter que les risques soient reportés sur d'autres entités plus grosses qui pourraient, par un jeu de dominos, devenir à leur tour insolvables.2. Les mécanismes de contagion consécutifs aux faillites souveraines et bancaires peuvent être enrayés grâce à des procédures de restructuration ordonnée de la dette : si le « spread » de crédit d'une entité dépasse un seuil prédéfini, toutes les expositions des contreparties et des créanciers de l'entité menacée sont rendues transparentes et les pertes partagées entre eux de manière ordonnée et concertée ; ainsi, la panique générale est évitée et la crise cantonnée aux acteurs immédiatement concernés.3. À plus long terme, un travail de régulation doit être accompli pour construire un réseau financier plus transparent et résilient qui responsabilise les acteurs, cloisonne efficacement les organisations et les marchés et ne nous oblige plus à nous préoccuper des institutions en faillite.Ces mesures sont indispensables pour sortir enfin de cet engrenage de la peur, qui ne fait que nous conduire de catastrophes « évitées » en catastrophes plus grandes, et pour renouer avec ce principe fondateur du libéralisme qui veut que toute organisation assume pleinement les conséquences d'une mauvaise gestion de ses risques. (*) Cofondateur de Riskelia, cabinet de conseil en intelligence des risques.
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