Racontez-nous votre première expérience en Chine ...La première fois, c'était en 1982 ou 1983. Je travaillais alors chez ITT et il s'agissait d'un voyage de prospection. Ce moment reste une expérience très marquante. À cette époque, il n'y avait qu'un seul hôtel à Pékin pour accueillir les étrangers. Mais j'étais jeune et je n'ai pas appréhendé immédiatement toute l'histoire de la Chine et le poids qu'elle pourrait prendre au niveau politique et économique. En rentrant, j'ai lu des dizaines de livres pour mieux comprendre ce pays. Et finalement, le choc n'est pas de voir la puissance qu'est devenue la Chine en quelques années mais bien son absence de la scène économique internationale pendant près de cent ans. Historiquement, ce pays a toujours représenté une part importante de l'activité mondiale. Nous sommes donc en train de revenir à une situation plus proche de la tendance historique. Avec plus de 1 milliard d'habitant, il est normal que la Chine soit redevenue une puissance mondiale.Considérez-vous la Chine comme une menace ou une opportunité ?Notre filiale chinoise, Alcatel- Lucent Shanghai Bell, existe depuis 1984, et emploie plus de 10.000 personnes. C'est une capacité de R&D importante pour le groupe. Mais la Chine est aussi, depuis longtemps, un marché majeur pour Alcatel-Lucent. Nous ne sommes pas uniquement des exportateurs mais bien un acteur du marché chinois. Le groupe a fourni environ un tiers des équipements fixes de télécommunication en Chine. La population du pays est jeune. Elle aime la technologie. C'est une véritable opportunité.Vos concurrents chinois ont tout de même fortement bousculé votre environnement...L'arrivée de ces nouveaux acteurs a recentré l'industrie sur les coûts. Aujourd'hui, ce n'est plus suffisant d'être très intelligent, de sortir le bon produit au bon moment, d'avoir les capacités d'innovation. Les coûts sont devenus une priorité. Et c'est un vrai changement pour l'industrie des télécommunications. Mais celui-ci n'est pas simplement dû à l'arrivée des équipementiers chinois. Pour répondre aux besoins de leurs abonnés, et aux modes de consommation d'aujourd'hui, notamment les usages illimités, nos clients opérateurs ont besoin d'équipements toujours plus performants mais ne veulent pas payer plus cher. La seule réponse est donc de baisser nos coûts de production. à nous de démontrer que nous pouvons être global, géant et français dans le même temps, et être un concurrent efficace.Même face à Huawei et ZTE, vos deux concurrents chinois...Je n'ai pas d'obsession sur les groupes chinois ! Je n'ai d'ailleurs jamais critiqué quelque concurrent que ce soit. Mon message n'est pas de dire que nous ne devons pas perdre contre l'un ou l'autre de nos concurrents mais bien que nous devons gagner. C'est un message positif. Nous avons une capacité de recherche unique avec les « Bell labs », des équipes et des clients partout dans le monde, Australie, Brésil, Europe, Asie, Amérique du nord. Nous avons tout ce qui est nécessaire pour gagner. Il est donc important maintenant d'avoir la volonté de gagner. Prenez notre position dans le LTE, la technologie de téléphonie mobile de nouvelle génération. Ce n'était rien il y a 18 mois. Personne ne croyait que nous y arriverions. Regardez maintenant ! [Alcatel-Lucent a gagné les contrats auprès des deux premiers opérateurs américains AT&Tmp;T et Verizon Wireless, Ndlr]. C'est donc que c'est possible malgré ce contexte concurrentiel.Estimez-vous équitables les règles du jeu du commerce avec la Chine ?L'équité est un concept politique pas économique ! L'économie est un monde de concurrence. Cela ne sert à rien de se plaindre, de dire « ils ont des avantages par rapport à nous ». Il faut plutôt se dire : « allons-y ! ». Souvenons-nous de la situation des Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) il y a dix ans. Depuis, ces pays ont connu une progression énorme. C'est à nous d'avoir la même énergie, le même désir de sortir de notre zone de confort. Pas pour nous mais pour la prochaine génération.

latribune.fr

18 Juill 2010, 23:22

Partager :