La consommation est-elle toujours une fête  ?

Gilles LipovetskyOUILa consommation reste le moyen privilégié d'accès à la nouveauté.Si, avec la baisse du pouvoir d'achat qui impose à chacun des restrictions et avec les préoccupations touchant à l'environnement qui entraînent un sentiment général de culpabilité, la consommation est teintée d'anxiété, cela ne veut pas dire que l'on puisse y voir la négation de la fête. S'il y a une peur, elle me paraît davantage liée à la crainte de ne plus pouvoir consommer, à savoir une peur conjoncturelle, qu'à un mouvement de fond : les aspirations festives de la consommation me paraissent intactes. Aussi, la frugalité, que certains pointent comme étant le révélateur d'un manque d'appétit fondamental, me paraît plus subie que choisie. Ceux qui en ont les moyens continuent de vouloir partir en vacances, et dans une société de plus en plus soumise aux exigences de performance, la consommation continue de remplir la fonction de jouissance, d'espoir, de rêve et d'une certaine manière, d'évasion. Car où la trouver ailleurs ? Dans un monde où les églises n'encadrent plus les consciences, où les rites et la tradition ne rythment plus notre vie quotidienne, la vie consommatoire est devenue l'activité numéro un en dehors de la vie professionnelle. Pour la plupart des individus, c'est même ce qui justifie leur temps passé au travail. Dans un monde qui a abandonné ces traditions qui naguère stabilisaient la société, la recherche permanente de modernité, donc de nouveauté, est précisément ce qui structure la société. C'est donc par la consommation, devenue le moyen privilégié pour faire l'expérience de la nouveauté, que s'exprime cette quête. Et c'est par l'obsolescence systématique et organisée que l'offre est parvenue à stimuler la demande permanente de nouveauté. Tout est donc désormais organisé autour de cette quête. Mais cette consommation structurante ne correspond plus à un temps exceptionnel de la vie. Elle est permanente et, à ce titre, a fondu deux temps de la vie qui naguère étaient radicalement distincts : le temps de la vie profane, et le temps exceptionnel de la fête. Avec la consommation marchande partout et pour tous ? ou presque ?, la fête n'est plus une rupture avec la vie quotidienne, et s'est alignée sur les nouveaux principes de la vie quotidienne, c'est-à-dire les nouvelles règles de la consommation : modération et équilibre de vie. nAlors que cette année 2009 s'est traduite dans les magasins par une baisse du panier moyen, les festivités de Noël se présentent sous un jour contrasté. Si les Français, habitués aux achats de dernière minute, semblent ne pas vouloir faire totalement l'impasse sur l'événement, c'est avec un regard plus que jamais rivé sur leur porte-monnaie. Recherche active de promotions sur Internet, mais aussi dans les magasins, alors que certains n'ont pas attendu les soldes pour consentir des rabais, l'heure ne semble plus aux folies, mais plutôt aux petits tickets. Propos recueillis par Valérie SegondNONPhilippe CahenOn a vu apparaître il y a près de quinze ans un mouvement de fond qui a, insidieusement et progressivement, changé la nature de la consommation. Avec le hard discount dans l'alimentaire, le textile, le transport aérien, les télécoms et la banque, etc., on a d'abord vu apparaître le « consommateur malin » qui faisait le calcul de réaliser une partie de ses dépenses dans des magasins ou chez des prestataires low-cost pour se dégager du pouvoir d'achat destiné à des biens ou services plus onéreux. L'ensemble de ses dépenses faisant l'objet d'un arbitrage permanent. Puis, après l'achat malin, on a vu la consommation des ménages se sophistiquer en intégrant de nouveaux paramètres. Consommer devenait un acte réfléchi, chacun étant amené, pour des raisons qui lui sont propres, à « consommer différemment ». Or cet acte ne pouvait être réfléchi que s'il s'appuyait sur une connaissance de l'origine des biens, mais aussi de leur mode de production ou de fabrication, etc. En clair, ce mode de consommation réfléchi a eu deux conséquences dont on n'a pas encore pris toute la mesure : d'abord, des exigences accrues d'informations, dont certaines, comme le bilan carbone des produits, vont être extrêmement difficiles à satisfaire. Ensuite, l'avènement d'une certaine « morale » de la consommation : rouler en 4 x 4, ou manger des fraises en hiver, ce sera, non seulement, non pertinent, mais ce sera de surcroît une faute morale. Ainsi intégrée dans une vision du monde, la consommation quotidienne procédera de moins en moins d'un acte d'impulsion et de plus en plus d'un acte réfléchi. Au point que l'on voit apparaître aujourd'hui des phénomènes qui tendent à vider un peu plus de son contenu symbolique la consommation : la consommation est devenue un acte d'intelligence ; le troc et le partage des usages comme la colocation, que facilite Internet, se développent à toute vitesse chez les moins de 30 ans ; enfin, l'appropriation des biens n'est plus incontournable. De plus en plus, l'accès au droit d'usage pourrait apparaître à chacun comme le « modus operandi » à la fois le plus économe et le plus écologique, en un mot le plus pertinent. Bref, consommer comme on l'a fait pendant trente ans, n'apparaît plus devoir rester le modèle social dominant. nUn mouvement de fond lui a fait perdre progressivement son statut festif.
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