Le syndrome Goldman Sachs frappe toute la finance

Objet de scandales à répétition, la banque Goldman Sachs est en train de devenir l'emblème des problèmes déontologiques au sein des banques d'investissement. Le premier scandale concernait le transfert par Goldman Sachs de son exposition « subprimes » à l'assureur AIG, finalement sauvé par le contribuable en septembre 2008. Une deuxième polémique a concerné le camouflage de la dette souveraine grecque. Le troisième scandale est lié à la dissimulation par la banque d'une partie de la dette dans son bilan. Un nouveau scandale vient maintenant ébranler Goldman Sachs, qui est accusée par la SEC, autorité américaine de régulation des marchés, d'avoir vendu à un client un produit d'investissement lié à l'immobilier américain sans préciser à ce dernier que le produit en question était spécialement conçu pour répondre aux besoins d'un deuxième client (le fonds Paulson), désirant prendre le pari exactement inverse. La banque aurait ainsi profité dans chacun des cas d'un flou institutionnel pour accaparer des gains privés aux dépens de ses différents partenaires.Or, comme l'explique le Prix Nobel d'économie Douglass North, les sources d'une organisation économique efficiente sont d'abord à rechercher dans l'existence d'institutions offrant les incitations favorables aux activités productives et à la création de richesses. Les institutions sont définies comme les règles du jeu en société ou, plus formellement, les contraintes, implicites ou explicites, qui encadrent et influencent leurs interactions. Ce sont ces institutions qui offrent la structure des incitations qui guident les comportements humains, de façon plus ou moins propice à l'efficacité individuelle et collective.North démontre que le cadre institutionnel conditionne le genre d'« organisations » (entreprises) qui seront créées, de même que leur évolution. Selon lui, « les organisations qui se constituent vont refléter les opportunités créées par la matrice institutionnelle. Si le cadre institutionnel récompense la piraterie, des organisations pirates seront créées ; s'il récompense les activités productives, des organisations seront créées afin de s'engager dans des activités productives ». Suivant cette lecture, des arrangements institutionnels inefficaces ou inéquitables auront tendance à favoriser les pratiques prédatrices et les activités « d'extraction de rentes ».La croissance spectaculaire des marchés financiers depuis les années 1970 n'a pas été suivie par un dispositif institutionnel définissant la nature exacte des banques d'affaires et encadrant leur fonctionnement. Les banques d'investissement sont en effet engagées à la fois dans des activités de trading pour compte propre, de flux et de conseil. Ce mélange des genres est propice aux conflits d'intérêts, à l'appropriation de rentes et à la confiscation de l'information. Les banques d'affaires oeuvrent dans le sens de la complexification des produits ; investisseurs, entreprises, collectivités et États doivent recourir à leurs services pour investir dans des produits sophistiqués, se financer ou se couvrir sans toujours bien maîtriser les enjeux et les risques encourus.Une première source de hasard moral provient du système de rémunération dans les banques, qui intéresse les traders sur les gains réalisés à court terme tout en les mettant à l'abri des risques que leurs actions comportent à plus long terme. Une seconde source tient au fait que les banques « too big to fail » sont garanties par le contribuable, ce qui leur permet de financer des activités risquées tout en maintenant des niveaux de fonds propres très bas. Les interdépendances croissantes entre banques d'affaires produisent un système opaque, qui bénéficie aux intérêts privés les mieux organisés, et où les comportements responsables sont de moins en moins récompensés. Les dérives sont devenues manifestes, au point que l'administration Obama a fait de la séparation des activités bancaires une priorité. Il devient urgent maintenant de définir de nouvelles règles du jeu pour délimiter les espaces discrétionnaires des banques d'investissement et encadrer leur conduite en vue d'une meilleure prise en compte de l'intérêt général. n (*) Fahmi Ben-Abdelkader est docteur en sciences économiques de l'université de Paris I et Steve Ohana est professeur de finance à l'ESCP Europe, cofondateur de Riskelia.Point de vue Fahmi Ben-Abdelkader et Steve Ohana (*)
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