Retour sur la taxe carbone  : le véritable débat

La controverse politique sur la taxe carbone, enterrée après les élections régionales, reflète les incertitudes et les contradictions liées à un problème complexe. Depuis longtemps, face au défi de la réduction des émissions de CO2, les économistes prônent la solution théoriquement la plus simple : établir une taxe générale sur le CO2 qui obligerait les acteurs économiques décentralisés à prendre en compte le « coût externe » du réchauffement climatique dans leurs choix. Mais il est impossible de déterminer a priori un « coût » du CO2, puisque l'objectif est, en fait, une réduction quantitative des émissions. Le problème est donc de savoir quel prix du CO2 amènerait les acteurs économiques à réduire leurs émissions par le fameux « facteur 4 » (c'est-à-dire de 75 %) à l'horizon 2050. Les études indiquent que, à structure économique inchangée, un prix du CO2 très élevé, supérieur à 150 euros/tonne, et allant peut-être jusqu'à 400 euros/tonne serait nécessaire. On imagine le bouleversement des situations de chacun que de tels chiffres impliquent ! De fait, l'élasticité des comportements face au seul prix du CO2 n'est souvent pas très forte. L'automobiliste n'est pas en position de réduire significativement ses trajets s'il n'y a pas de transports en commun ! Le propriétaire d'un logement n'est pas enclin à payer des travaux d'isolation coûteux si c'est le locataire qui empoche les économies de chauffage.Certaines études, réalisées notamment par le McKinsey Global Institute suggèrent l'intérêt de stratégies différenciées pour répondre aux situations très variées des différents secteurs. Il y a des secteurs où des économies sont possibles à coût négatif, c'est-à-dire où, même sans taxe CO2, les investissements nécessaires seraient actuellement rentabilisés sur trente ans par les économies d'énergie obtenues. Ces investissements ne sont pourtant pas encore réalisés, du fait de l'inertie des acteurs, de leur horizon de décision trop lointain - un « pay-back » de quatre à cinq ans maximum est souvent nécessaire pour déclencher une action -, des difficultés de financement ou d'une absence d'offre de solutions d'amé- lioration.C'est par exemple le cas du secteur du bâtiment, où une division par quatre des émissions des nouvelles constructions est possible avec les technologies existantes, au prix d'un surcoût modeste (10 % à 15 %), et où la rénovation des bâtiments existants peut être rentable si l'on en calcule les effets sur une durée de vie suffisamment longue.Dans d'autres cas, au contraire, il faudrait un prix du CO2 élevé pour justifier économiquement les économies nécessaires. C'est le cas, pour l'instant, de l'énergie solaire, du développement de la voiture tout-électrique, de la conservation en réservoirs souterrains du CO2, du remplacement des centrales au charbon, ou de l'utilisation systématique des déchets comme combustible.Jouer uniquement du « signal prix » conduirait à fixer le niveau de la taxe carbone au coût marginal - le plus élevé - des différentes actions nécessaires, en l'augmentant de surcroît, si l'on veut une réaction rapide, de la marge nécessaire pour vaincre l'inertie et le court-termisme des agents économiques. Cela entraînerait d'énormes transferts de richesse, et donc d'énormes résistances. De plus, l'instauration d'une taxe dans un seul pays ou une seule zone créerait des problèmes de compétitivité nécessitant un ajustement aux frontières, fortement combattu par plusieurs pays protec- tionnistes.Un ensemble d'actions différenciées, tenant compte des coûts de réduction des effectifs dans différents secteurs, est une solution plus réaliste, même s'il entraînera sans doute certaines inefficacités économiques, car l'évaluation et l'ajustement des politiques seront imparfaits. C'est un tel ensemble d'actions qui a été discuté dans le Grenelle de l'environnement, même si le consensus réalisé à l'époque s'est quelque peu effrité. De plus, rien ne sera possible sans un effort considérable de recherche et de développement dans les nouvelles technologies, dont l'ampleur et l'horizon dépassent les possibilités des seules entreprises privées. Il faut donc aussi des partenariats public-privé de grande envergure, dont le champ ne soit pas limité par une interprétation trop rigide des règles de concurrence et du rôle de l'État. Dans ce cadre général, la taxe carbone est loin d'être, comme certains le croient encore, l'instrument magique qui nous permettrait de régler tous les problèmes ! n (*) et membre de l'Institut de France (Académie des sciences morales et politiques).Point de vue Bertrand Collomb Ancien président de Lafarge (*)
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.