Rémunérations des dirigeants : halte aux fausses croyances !

Proxinvest, agence française d\'analyse de gouvernance et de politique de vote à destination des assemblées générales, vient de rendre public son rapport annuel traitant de la rémunération des dirigeants des sociétés du SBF 120. Le rapport souligne qu’en 2011, la rémunération globale des dirigeants du CAC 40 connaît une baisse de 3%. Parallèlement, ce document montre que la valeur boursière des entreprises composant l’indice perd 17% et que leurs bénéfices nets cumulés chutent de 10%, pendant cette même année. Le rapprochement entre ces chiffres n’est pas neutre ; il illustre l’attente très forte d’un lien explicite entre l’évolution de la rémunération des dirigeants et les variations des indicateurs de performance de l’entreprise. Cette croyance est d’autant plus logique que les entreprises du SBF 120, dans leur documents de référence destiné aux actionnaires, expliquent que la rémunération variable et l’attribution d’actions ou de stock-options sont indexées sur la performance.Conclusions troublantesNous avons eu la curiosité de mettre à l’épreuve ces discours en réalisant une étude destinée à identifier les déterminants de la rémunération des dirigeants de 132 sociétés françaises cotées (1). Il ressort des modèles statistiques des constats assez troublants. Notre recherche montre qu’il n’existe en réalité aucun lien entre la rémunération du dirigeant et les performances comptable et boursière de l’entreprise qu’il dirige ! Ces résultats, surprenants au premier abord, ne font que confirmer ceux obtenus par de nombreuses études réalisées sur le même thème dans un contexte anglo-saxon.Si ce n’est la performance, qu’est-ce qui explique le niveau de rémunération du dirigeant exécutif ? C’est principalement la taille de l’entreprise. Là encore, ce résultat, établi dans le contexte français, s’inscrit dans la droite ligne des contributions réalisées par des chercheurs américains. La gouvernance des entreprises est également susceptible d’affecter les niveaux de rémunération. Au cours des dernières décennies, les mécanismes de gouvernance, chargés de préserver les intérêts des parties prenantes de toute tentative de prélèvement d’une rémunération abusive par le dirigeant, ont été renforcés. Il en est ainsi de la proportion d’administrateurs indépendants au conseil d’administration. Le code AFEP-MEDEF conseille aux entreprises d’intégrer dans leur conseil d’administration au moins la moitié de membres n’ayant aucun lien familial, patrimonial, hiérarchique ou commercial avec l’entreprise. Or, notre étude démontre que la présence d’un pourcentage important de membres indépendants dans le conseil d’administration n’a pas de vertu modératrice sur la rémunération des dirigeants.Quid de la séparation des fonctions de direction et de surveillance ?Autre mécanisme de gouvernance : le comité de rémunération. Les entreprises sont incitées par le code AFEP-MEDEF à constituer, au sein de leur conseil, un groupe d’experts chargé de préparer spécifiquement les décisions concernant les rétributions des dirigeants. Or, notre étude montre que l’existence d’un tel comité dans une entreprise, loin d’avoir une influence modératrice sur les émoluments des dirigeants, tend à les augmenter !Enfin, dernier mécanisme : la séparation des fonctions de direction et de surveillance. La loi traitant des Nouvelles Régulations Economiques (2001) a instauré la possibilité de dissocier les fonctions de président du conseil d’administration (non exécutif) et de directeur général. Elle est venue renforcer les structures duales séparant le directoire du conseil de surveillance déjà présentes depuis la fin des années 60. Afin de favoriser une meilleure gouvernance, de nombreuses entreprises cotées ont opté pour cette dissociation au cours de la dernière décennie. Ce dispositif aurait dû permettre au président non exécutif (chargé de la surveillance) d’endiguer les augmentations salariales du dirigeant exécutif. Or, là encore, notre étude montre que la séparation des fonctions n’a aucune influence sur la rémunération du dirigeant. Au contraire, le développement de ces structures met en lumière une autre problématique : la rétribution des présidents non exécutifs échappe à tout contrôle, comme le souligne Proxinvest cette année encore. Or, le niveau de leurs émoluments est très contrasté. Si certains présidents se contentent de jetons de présence de quelques dizaines de milliers d\'euros, d\'autres bénéficient d\'une indemnité spécifique qui avoisine le million d’euros en 2011.Nous avons diligenté une seconde étude concernant les déterminants de la rémunération de 57 dirigeants du SBF 120 ayant occupé un siège de président non exécutif au cours la période 2005 à 2011 (2). Nos résultats montrent, comme pour les dirigeants exécutifs, qu’aucun lien n’existe entre la performance de la firme et leur rémunération mais que la taille de l’entreprise contribue fortement à expliquer le niveau de leur rétribution. Par ailleurs, les caractéristiques personnelles des présidents ont une influence. Avoir auparavant exercé des fonctions de direction générale, dans une autre entreprise cotée ou dans l’organisation dans laquelle il assume son activité de surveillance, renforce la rémunération du président. En revanche, de manière très surprenante, alors que les présidents issus des Grandes Ecoles (ENA, Polytechnique, Ecoles de commerce parisiennes) sont surreprésentés parmi cette population, les diplômés de ces prestigieuses institutions sont moins bien rémunérés que leurs homologues passés par des formations moins valorisées.Doutes sur les administrateursLes ambiguïtés liées à la rémunération du président font douter de la capacité des administrateurs – et du premier d’entre eux ! – à exercer un véritable contrôle sur la rémunération des dirigeants.Si les organes internes de contrôle ne sont pas opérants, le renforcement d’un contrôle direct par les actionnaires serait-il plus pertinent et efficace ? Ce contrôle peut prendre la forme d’une soumission de la rémunération des dirigeants des sociétés dont les titres sont cotés au vote des actionnaires, lors de l’assemblée générale annuelle. Le « say on pay » a ainsi été introduit dans de nombreux pays européens, et aux Etats-Unis depuis 2010. En France, les actionnaires se prononcent seulement sur les jetons de présence des administrateurs, les indemnités de départ, les retraites chapeaux, les plans de stock options et d’actions de performance. Cette année, les indemnités de départ du dirigeant de Technip ainsi que la retraite complémentaire du président du directoire de Schneider n’ont d’ailleurs été votées qu’avec une faible majorité. Un projet de loi devant étendre ce périmètre à l’ensemble de la rémunération, salaires fixes et variables compris est à l’étude. Mais ce mécanisme sera-t-il réellement efficace ? Aux Etats-Unis, en 2012, sur 2025 entreprises ayant soumis leur plan de rémunération au vote des actionnaires, 53 seulement (2,6%) ont vu leur proposition rejetée. Et les rémunérations moyennes continuent d’augmenter…(1) Broye G., Moulin Y., \"Rémunération des dirigeants et gouvernance des entreprises : le cas des entreprises françaises cotées\", Finance Contrôle Stratégie, Vol. 13, n° 1, 2010, p.67-98.(2) Broye G., Moulin Y., \"La rémunération des Présidents Non Exécutifs dépend-elle de leur capital humain?\", workingpaper, 2012.par Géraldine Broye est professeur des universités à l’EM Strasbourg Business School, spécialisée en finance d\'entreprise. Ses travaux de recherche portent sur la gouvernance des entreprises, et notamment sur la question de la rémunération des dirigeants. et par Yves Moulin est maître de conférences à l’EM Strasbourg Business School. Ses travaux se situent à l\'intersection de la gestion des ressources humaines et de la gouvernance d\'entreprise, et portent notamment sur les restructurations d\'entreprise et sur la rémunération des mandataires sociaux. 
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