Mauvais film

La décision de l\'acteur Gérard Depardieu de partir s\'installer en Belgique pour des raisons supposées fiscales n\'en finit pas de faire des remous, et alimente quasi un débat national. Le président François Hollande a intimé à ses ministres de ne pas s\'en prendre à la personnalité de l\'acteur, une critique à peine voilée au premier d\'entre eux, Jean-Marc Ayrault, qui avait stigmatisé l\'attitude de l\'acteur la jugeant « minable ». De son côté, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a même appelé l\'acteur \"à revenir chez nous.\"Les points de vue se multiplient pour défendre, voire s\'identifier à notre « Obélix » gaulois au nom de la liberté de l\'individu, Depardieu étant devenu à leurs yeux un bouc-émissaire commode.On peut évidemment juger de façon sévère le choix personnel de l\'acteur, le juger « anti-patriotique » et goûter moyennement son provoquant franc-parler, mais, à notre connaissance, il n\'enfreint aucune loi.Par ailleurs, cela ne remet pas en cause son statut de géant de cinéma, puisqu\'on ne voit pas très bien le rapport de cause à effet entre son choix belge et son talent d\'acteur.C\'est la raison pour laquelle certains propos apparaissent plutôt inquiétants, puisqu\'ils appellent à la punition. Ainsi, en est-il du député socialiste de la Charente Jérôme Lambert, qui préconise ni plus ni moins de « confisquer les biens de ce monsieur, lui qui mord la main de la patrie qui l\'a nourri et fait prospérer. » Outre le niveau de conversation du café du commerce, l\'arbitraire d\'une telle décision n\'honore pas le député, censé exercer le pouvoir législatif.En ces temps de crise, la rhétorique anti-riches marche bien, mais c\'est la justification avancée par l\'élu qui est étrange. \"Quand on a autant d\'argent qu\'un homme comme lui, argent gagné grâce aux Français et à la France qui aide tant le cinéma et la création sur son territoire, il est parfaitement honteux de fuir au moment où l\'on a besoin de toutes les énergies et contributions pour redresser notre pays si mal en point\".Le député Jérôme Lambert devrait savoir que l\'argent gagné par Gérard Depardieu est d\'abord dû à son talent (que l\'on peut apprécier ou pas, mais c\'est un autre débat). Les Français acceptent de payer leurs places de cinéma, parce qu\'ils pensent passer un bon moment. Gérard Depardieu n\'a jamais contraint qui que ce soit à regarder ses performances, et ne s\'est jamais montré insultant avec son public.Ce mélange des genres est d\'autant plus piquant que le député constate que « notre pays (est) si mal en point ». Peut-être ferait-il mieux de s\'interroger sur les raisons pour lesquelles notre pays est dans cette situation. Cela ne doit pas être à cause de Gérard Depardieu qui a affirmé - sans avoir été démenti - avoir payé 145 millions d\'impôts à l\'Etat français, et grâce à son nom généré un montant de recettes encore plus élevé qui ont profité à l\'économie du pays.Jérôme Lambert a l\'air de penser que c\'est l\'Etat français qui nourrit Depardieu. En réalité, c\'est l\'inverse. Les moyens financiers de l\'Etat sont fournis par l\'impôt prélevé sur la richesse créée par les Français, mais aussi, ce que n\'a pas l\'air de soupçonner le député, par le recours à l\'emprunt qui a tant fait grimper le poids de la dette souveraine. C\'est d\'ailleurs cela qui a mis « notre pays si mal en point. »Quant à l\'aide de l\'Etat au cinéma, dont on pourrait penser à entendre Jérôme Lambert, si généreux avec l\'argent public, qu\'elle fait tout. Il faut là aussi relativiser l\'envolée lyrique de notre fougueux député de la Charente.Si l\'on en croit le réalisateur Michel Hazanavicius, la dotation publique représenterait 10% du financement des films produits dans l\'Hexagone, autrement dit, ce sont encore majoritairement les producteurs privés qui participent à un tel financement.Michel Hazanavicius a dû potasser son dossier car à la tête d\'une délégation représentant les professionnels du grand écran français il est allé à la rencontre mercredi de Neelie Kroes, la vice-présidente de la Commission européenne, pour la convaincre de l\'intérêt du système français du financement public du cinéma. Neelie Kroes voit en effet d\'un très mauvais oeil la taxe imposée au secteur des télécoms dont le produit est reversé au cinéma français. Elle est plutôt favorable par principe à la libre circulation des contenus culturels. On ne sait pas encore si Madame Kroes a été convaincue.Ce qui est sûr c\'est que le scénario de Jérôme Lambert ferait un mauvais film.
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