Les illusions de la stratégie européenne de François Hollande

Les Français sont décidément incorrigibles. Leur surmoi monarchique est tel qu\'ils sont franchement convaincus qu\'il suffit que le roi parle pour que la réalité change. Aussi a-t-on entendu dans l\'Hexagone bien des éloges sur l\'ambitieux plan européen de François Hollande dévoilé ce jeudi. Il est vrai que l\'équipe de communication de l\'Elysée avait mis les petits plats dans les grands en ouvrant l\'intervention du président sur ces quatre propositions pour l\'Europe qui, si l\'on en croit certains observateurs (français) constituent un « tournant dans l\'histoire européenne. »L\'espoir du général HollandeAu-delà d\'une telle emphase, on peut certes remarquer le mouvement stratégique du président français qui « prend l\'Allemagne au mot » sur son désir d\'intégration. Sa logique - son espoir - est de piéger Berlin. Si Angela Merkel refuse de créer ce « gouvernement économique », alors Paris pourra clairement rejeter la faute du blocage européen vers l\'Allemagne. On pourra reprendre le thème de « l\'intransigeance égoïste », on pourra enfin prouver que Berlin ne joue la carte que de ses propres intérêts, refusant celle de l\'intérêt général. Le mouvement est certes malin, puisqu\'il s\'agit justement de prouver que « la France n\'est pas le problème, mais bien la solution à la crise. » En politique intérieure et en Europe, François Hollande aura regagné une aura qu\'il n\'a pas été capable d\'acquérir jusqu\'ici.Un gouvernement économique, oui, mais pourquoi faire ?Mais il y a un hic : ce gouvernement économique n\'est en réalité qu\'un mot, une coquille vide. Tout dépend de ce qu\'on y mettra. François Hollande s\'est bien gardé ce jeudi d\'entrer dans ce détail. Il s\'est contenté de dire qu\'il voulait « moins d\'austérité et plus de croissance en Europe. » Prise au piège de la stratégie française, l\'Allemagne pourrait bien accepter - sous une forme ou sous une autre (le terme de « gouvernement économique » n\'est pas bien perçu outre-Rhin) - cette nouvelle instance. Après tout, il n\'y a là aucun mal : un président de plus, après celui de l\'Eurogroupe et du conseil européen, cela ne porte pas à conséquence...Le poids de l\'Allemagne dans le gouvernement économique européenL\'essentiel n\'est pas là, mais bien dans ce que feront concrètement ce nouveau président et cette nouvelle instance. Et c\'est ici que le bât blesse. Rien en économie ne peut se faire dans la zone euro sans l\'Allemagne, qui pèse pour 27 % de son PIB, qui est la seule grande puissance exportatrice de la région et qui surtout est la référence de confiance pour les marchés financiers. Dans une instance chargée de définir la politique économique de la zone euro, un « nein » allemand a valeur de veto. Un « non » français, beaucoup moins, s\'il est isolé. Pour résumé, il y a peu de chance que ce gouvernement économique prenne des orientations non désirés par l\'Allemagne. Il faudra donc convaincre l\'Allemagne d\'une autre stratégie. Exactement comme aujourd\'hui. Autrement, dit, cette nouvelle coquille n\'aura pas changé la situation.Le gouvernement économique existe déjàDu reste, on voit mal comment. Il existe en effet déjà un embryon de « gouvernement économique » avec l\'Eurogroupe et l\'Ecofin qui sont décisionnaires sur plusieurs sujets, notamment la mise en place et le déblocage des aides. Or, on le voit dans le cas de Chypre ou du Portugal, ces instances sont les gardiens de l\'orthodoxie budgétaire et les garants de la politique d\'austérité. De même, lorsqu\'à l\'été 2011, Nicolas Sarkozy avait obtenu de l\'Allemagne un accord sur le « gouvernement économique », il s\'en était dégagé le pacte budgétaire, dont on va forcément reparler dans les prochaines années puisqu\'il interdit tout déficit structurel de plus de 0,5 % du PIB en 2018. Ce pacte avait été conçu par le gouvernement allemand qui avait ainsi pu montrer à l\'Europe qu\'il participait à ce « gouvernement économique européen. » On le voit, un « gouvernement économique européen » n\'est pas le garant d\'une politique de relance, bien au contraire. Il existe actuellement une vraie politique économique européenne : celle de la compétitivité par la déflation interne. Et comme on ne voit guère poindre de vraie prise de conscience outre-Rhin d\'une nécessité de changer de politique économique, le général Hollande risque bien de se faire envelopper par son propre mouvement. Car il n\'a guère prouvé jusqu\'à présent qu\'il était capable, ni même désireux, de résister à l\'influence allemande. C\'est bien à sa demande que le pacte budgétaire a été ratifié par le parlement français.Les tâches du gouvernement économique à la limite de l\'utopie Evidemment, François Hollande a défini un certain nombre de tâches à sa nouvelle invention. Mais on ne peut guère imaginer que ces objectifs soient réalistes. La lutte contre l\'évasion fiscale peut certes encore faire l\'objet d\'un certain consensus, même si Autriche et Luxembourg tenteront de résister. Mais cette lutte ne se joue pas uniquement au sein de la zone euro. Quant aux autres objectifs, ils relèvent du vœu pieu. L\'harmonisation fiscale est un vieux serpent de mer dont, en réalité, personne ne veut. Ceux qui ont les taux les plus bas sont fort satisfaits de la situation de concurrence. Ceux qui ont les taux les plus élevés ne veulent pas baisser les recettes de l\'Etat et attendent donc de l\'harmonisation fiscale un relèvement du taux des autres... La situation est inextricable et on ne voit pas pourquoi l\'Irlande ferait passer son taux de l\'impôt sur les sociétés de son taux actuel de 12,5 % à celui de 35 % en vigueur en France. Et si la France réduit son taux, acceptera-t-elle de tailler dans ses services publics pour maintenir l\'équilibre budgétaire comme ne manquera pas de le lui demander le « gouvernement économique » ? C\'est peu probable, et en tout cas, ce n\'est pas ce que François Hollande semble désirer. L\'harmonisation sociale « par le haut » n\'est pas davantage réaliste au moment où de nombreux pays réduisent leurs prestations sociales et réforment leurs marchés du travail à la demande même de la troïka, donc d\'une forme de gouvernement économique européen. D\'autant que le niveau d\'endettement général des pays de la zone euro laisse peu d\'espoir sur le sujet. Dans ces deux cas, la France n\'est pas en mesure d\'imposer ses choix au reste de l\'Europe. Tout simplement, parce qu\'ils ne sont pas payants pour ces autres pays.Manque de réalismeToutes les propositions européennes de François Hollande manquent de réalisme. La Communauté européenne de l\'énergie ? Mais elle buterait sur la politique ambiguë de la France concernant son nucléaire. A moins que Paris n\'accepte ainsi implicitement de renoncer à son énergie nucléaire, ce que François Hollande s\'est bien gardé de dire ! Un budget européen renforcé ? Mais il vient d\'être enterré par Angela Merkel et David Cameron ! En passant, on remarquera que la chancelière n\'a guère souffert dans son image ou dans sa position de cette décision bien peu fédéraliste, ce qui laisse songeur sur la capacité de réussite de la stratégie française décrite plus haut. Les Eurobonds ? L\'Allemagne a toujours dit que ce serait le dernier boulon de la construction européenne. Lorsque chacun respectera le pacte budgétaire et que les risques seront alors minimes, il deviendra possible de faire des emprunts communs avec des risques partagés. Mais on en est encore loin, et il ne peut être question de les voir émerger d\'ici deux ans.Victoire à la PyrrhusOn le voit, si la proposition de François Hollande est acceptée par Berlin, ce qui est possible, ce ne sera sans doute qu\'une victoire à la Pyrrhus. Car la zone euro est aujourd\'hui dominée par un rapport de force favorable à l\'Allemagne. Depuis un an, François Hollande, quand bien même il s\'en défendrait, a accepté ce rapport de force. Il refuse de le modifier. Il doit donc accepter de se soumettre aux choix économiques faits à Berlin. Aucune nouvelle instance européenne ne modifiera cet état de fait. Il se passera donc sans doute ce qui s\'est passé en 2011 et 2012. Consciente qu\'elle ne peut apparaître hégémonique ou égoïste, l\'Allemagne acceptera la proposition Hollande. En partie. Elle ne conservera que ce qu\'elle veut conserver, laissera le reste à l\'état de projet ou de fausse concession. A l\'été 2012, Angela Merkel a accepté un « pacte de croissance » qui a désormais disparu corps et biens au point que le président français, qui l\'avait « arraché » n\'en a pas parlé ce jeudi. En échange de cette concession de façade, elle a obtenu le pacte budgétaire qui lui s\'imposera bien à la France. L\'Allemagne ne se paie pas de mots. Les Français, malheureusement, si, lorsque ce sont ceux de leur monarque républicain. 
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