« Grâce à un lobbying intense, Wall Street a gagné sur tous les points »

Alors que Barack Obama doit promulguer ce mercredi la loi sur la réforme de la régulation financière, Lawrence G. ­McDonald, responsable des produits convertibles et de la dette d'entreprises en difficulté chez Lehman Brothers de 2004 à début 2008, auteur de l'ouvrage « A colossal failure of the common sense », revient sur la portée de la nouvelle régulation.Quel regard portez-vous sur cette réforme financière ?Obama avait Wall Street sur sa feuille de route il y a encore six mois. Wall Street l'a poussé à un revirement incroyable, via un lobbying durant les 18 derniers mois, qui a pesé 360 millions de dollars. La loi qui vient d'être adoptée a quatre piliers principaux : la protection du consommateur, les agences de notation, la règle Volcker sur le trading pour compte propre et le régulateur du risque systémique. De mon point de vue, Wall Street a gagné sur chacun de ces piliers, exception peut-être de la protection du consommateur. La loi a été considérablement affaiblie. Sur la règle Volcker, la notation, comme le risque systémique, des études de faisabilité ou d'impact devront être lancées, pour des périodes allant de 2 à 5 ans. À titre de comparaison, ­Sarbanes-Oxley avait requis dix fois moins d'études. Chaque étude signifie une période de grâce [pour les établissements, Ndlr]. Au final, cette nouvelle loi va surtout créer beaucoup d'emplois bureaucratiques. Mais à court et moyen terme, nous restons très vulnérables. Rappelons qu'après le krach de 1929, il avait fallu, il est vrai, attendre quatre années pour voir le Securities Exchange Act et onze ans pour l'Investment Act. Nous voyons aujourd'hui la première d'une série de lois. Vous semblez fort déçu...C'est un pas en avant encourageant. Mais, dans le détail, je reste très déçu par le contenu de ces 2.200 pages et en particulier par le volet protection du consommateur. Au sein de Lehman Brothers, nous avions 10.000 des plus méprisables personnes dans l'activité de crédit hypothécaire. Dans la loi, le volet protection du consommateur aurait dû s'intéresser à cette question des produits hypothécaires. Au lieu de quoi, on s'est concentré sur le sujet des émetteurs de cartes bancaires (Mastercard, Visa) et les commissions prélevées par les banques. C'est honteux. Les cartes bancaires n'ont pourtant pas ébranlé le système financier. On a fait dans le populisme. Les législateurs ont profité de l'occasion se ruer sur autre chose que le nécessaire. Quelles auraient été vos recommandations ?Il aurait fallu se concentrer sur le crédit hypothécaire. D'une part en prévoyant l'enregistrement des courtiers et des vendeurs auprès du régulateur. Ce qui serait une forme de contrôle sur un système bancaire qui était jusqu'ici dans l'ombre?: en 2007, les États-Unis comptaient 325 établissements pratiquant le crédit sans avoir été enregistrés à cet effet (shadow banks). Par ailleurs, les crédits hypothécaires doivent être simplifiés, parce qu'avant la crise, ni les représentants à Washington, ni même les dirigeants de Lehman ne comprenaient réellement les produits titrisés complexes. D'où viendra la prochaine crise ?Toutes les crises financières ont des causes différentes. Les trois dernières sont venues des problématiques de dette. Ce furent « les junk bonds » des années 1980, les fluctuations des devises et des emprunts d'État des années 1990, puis les produits de titrisation complexe des années 2000. La prochaine crise viendra d'ailleurs, probablement de la zone euro. Lorsque Lehman est tombé, son bilan pesait 660 milliards de dollars, dont 300 d'emprunts d'État américain et d'agences. Ces titres sont restés solides comme le roc. En revanche, en Europe, à force d'austérité, certains pays pourraient être tentés par une sortie de l'Union monétaire, provoquant une panique sur le marché obligataire souverain. Cela signifierait des pertes considérables pour les banques du Vieux Continent, dont les bilans regorgent de ces titres. Le plus inquiétant, c'est que l'onde de choc de chaque nouvelle crise est nettement supérieure à la croissance du PIB mondial. Le coût final de LTCM représentait 10 fois la crise des Savings and Loan. Avec Lehman Brothers, le rapport passe de 1 à 100.Comment jugez-vous les travaux du Comité de Bâle ?Bâle est tout simplement ridicule. C'est comme si nous venions de connaître une inondation durant cent ans et qu'on lançait une étude sur les dix prochaines années. Finalement, le vrai problème, celui de l'arbitrage réglementaire n'a pas été réglé. Nous n'avons toujours pas de coordination mondiale. Et c'est pourquoi nous serons encore vulnérables au cours des trois à cinq prochaines années.Lawrence G. McDonald, directeur de Pangea Capital Management
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