Redécouvrir aussi Clemenceau

Dans quelques jours Noël, puis une nouvelle année, et la litanie habituelle des voeux optimistes et des bons sentiments. On aimerait oublier un instant le lourd stock des problèmes et des menaces qui pèsent sur l'économie, les équilibres internationaux, l'Europe, la planète Terre... Pourtant, dès le 2 janvier, les crises et tensions de toutes sortes feront leur réapparition, rendues plus complexes par l'interconnexion des économies et le décalage entre le lieu de la souveraineté institutionnelle et celui du pouvoir réel. La misère progresse, l'échec scolaire sape les fondations républicaines, la France recule sans cesse dans le classement PISA, l'intégration à la française est un désastre, la compétitivité est en berne...Mais de toutes les menaces, la pire est précisément la résultante de toutes les autres : la peur. Cette « décomposition de l'âme » comme dit Maupassant incite au repli, disloque ces agrégats humains fragiles que sont les sociétés, et favorise les mises en accusation simplistes : « C'est la faute à... ». Tout devient suspect : les fondements philosophiques de la démocratie, la cohabitation entre groupes sociaux et entre nations, et même la science. En qui avoir confiance ? Les discours de rejet de l'autre, de retour à de chimériques « valeurs nationales », de « réveil de l'autorité » (entendre, une forme de pouvoir débarrassée des lourdeurs du débat) se disséminent, s'insinuent, choquent d'abord puis finissent par dominer le débat public, passant du rang d'utopies funestes à celui d'hypothèses envisageables car « après tout ? ».Il n'y a pas de démocratie dans la défiance, ni lorsqu'une fraction immense de la population se sent déclassée, abandonnée, perdue, et ses jeunes sacrifiés. C'est souvent hélas dans ces périodes, alors que la plus extrême exigence intellectuelle et éthique serait requise, que la pensée elle-même, celle qui admet la complexité des choses, la diversité des points de vue, la pluralité des comportements, suscite la méfiance. C'est dans ces moments-là que l'exercice du pouvoir devrait s'attacher à tout prix à faire preuve d'exemplarité et d'impartialité, à sanctionner les dérives, sanctuariser les principes de droit élaborés au fil des siècles, faire oeuvre de pédagogie, sous peine de laisser grossir le fleuve des idées simplistes qui finit par tout emporter.Les temps seront difficiles pour longtemps, il faut le reconnaître et s'armer de détermination, de courage, de générosité et d'abnégation, dans un humanisme de combat. Il y a toujours de l'espoir, et l'humanité a montré sa résilience, mais ici espoir veut dire efforts décuplés, renonciation à un certain confort et impératif éthique. Nous avons le devoir de repenser le monde tel qu'il se présente à nous et non tel que nous aimerions qu'il soit, de sortir le débat public de la médiocrité et, comme dit Pierre Rosanvallon « d'élargir l'expression de la conscience citoyenne [et de] restaurer l'État dans sa dimension de gardien des conditions de la vie commune ». Étrange écho aux propos tenus voilà 130 ans par Clemenceau, vieux héros des périodes sombres, de la Commune à la Première Guerre mondiale en passant par l'affaire Dreyfus : « Nous voulons maintenir au-dessus de tout la liberté de l'initiative individuelle, qui est la loi même du progrès, c'est-à-dire de la vie sociale ; mais en même temps que la liberté, nous proclamons l'égalité, la solidarité humaine. Nous prétendons que la société a par-dessus tout le devoir - c'est même sa seule raison d'être - de soutenir, de fortifier le faible. » Ce qui fera dire à Léon Blum « la pensée [de Clemenceau], c'est la haine de l'individualisme, de l'égoïsme, de tout ce qui enserre et dessèche la vie autour de nous, de tout ce qui la fait souffrance et dure ». De quoi occuper largement 2011.ParOlivier Lecomte Professeur de finance à Centrale Paris
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