Comment rendre le monde plus juste

C'est à une vieille question de philosophie politique à laquelle s'attaque l'Indien Amartya Sen, Prix Nobel d'économie (1998) dans « l'Idée de justice ». De « la République » de Platon jusqu'à la « Théorie de la justice » de John Rawls, à la mémoire duquel est dédié l'ouvrage, la définition de ce qui est juste n'a eu de cesse de se poser à tous les grands penseurs. Apportant sa pierre à l'édifice, fruit de cinquante ans de réflexion, le professeur de Harvard peut se targuer de proposer un livre extrêmement riche, qui mêle la morale à l'économie, la sociologie à la philosophie ou l'histoire, notamment indienne. « Au lieu de proposer certaines réponses à des interrogations sur la nature de la justice parfaite, [cet ouvrage] cherche à déterminer comment procéder pour promouvoir la justice et éliminer l'injustice. À cet égard, il se distingue nettement des théories de la justice qui dominent dans la philosophie morale et politique contemporaine », annonce Sen dans sa préface. Ce qui intéresse le Prix Nobel n'est pas tant de trouver une définition parfaite et unique de la notion de justice sur laquelle fonder nos institutions que de déterminer les moyens de lutter effectivement contre l'injustice dans la vie quotidienne, en optant « pour le choix social et non pour le contrat social ». Au-delà des institutions, tout un chacun peut appréhender ce qui lui semble injuste. C'est d'ailleurs là que le propos s'avère passionnant. En bon disciple utilitariste de Jeremy Bentham et John Stuart Mill, l'auteur s'occupe des conséquences des actions entreprises pour faire progresser des attitudes justes, sans écarter les passions qui peuvent être déterminantes ni évidemment le travail de la raison. « Comprendre, compatir, argumenter », résume Amartya Sen.Car, contrairement à l'air du temps cynique et relativiste, Sen pense qu'il est possible de faire des progrès dans la compréhension des situations grâce à la raison, à une discussion argumentée, ouverte, basée sur une information factuelle. Ce qui, comme le rappelle l'auteur, ne peut être réalisé que dans une démocratie qui assure la liberté d'expression. Car le but est de réduire concrètement non seulement les injustices ponctuelles, mais aussi celles inscrites dans les structures sociales comme la pauvreté, l'inégalité des revenus? afin que chaque individu puisse développer intégralement ses capacités, ses « capabilités » comme dit Sen. L'idée de justice de Sen est loin d'être restrictive. « Nous avons besoin d'une interprétation de la justice fondée sur les accomplissements parce que la justice ne peut rester indifférente aux vies que mènent réellement les gens. » Une telle perspective étend la justice et la liberté de tout un chacun. « La liberté de choisir notre vie peut largement contribuer à notre bien-être, mais, au-delà même de cette perspective, la liberté en soi mérite d'être valorisée. [?] De fait, rien ne nous oblige à chercher seulement notre propre bien-être, et il nous revient de décider des objectifs que nous avons de bonnes raisons de nous fixer. » Une exigence qui concerne tout un chacun.Robert Jules « L'Idée de justice », par Amartya Sen. éditions Flammarion (558 pages, 25 euros).
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