« On peut tuer quelqu'un en ne le désirant plus »

Il suffit de se glisser sur « le Banc des soupirs » pour entendre une voix tour à tour drôle, piquante, surréaliste, implacable ou à fleur de peau. Unique en tous les cas. Celle d'Anne Goscinny. L'auteur nous entraîne dans une ronde enivrante autour d'un psychanalyste décidé à tuer sa femme. Et voilà tous ceux qui l'ont côtoyé appelés à répondre aux questions de la police. Il y a là un ado et son rat féru de psychologie, sa bonne, ses amis mais surtout Jeanne, sa patiente. Au fil de leurs dépositions, l'écrivain évoque avec une extraordinaire justesse le couple, la psychanalyse, l'adolescence. Et si tous ses personnages portent en eux une part d'elle, c'est incontestablement Jeanne qui ressemble le plus à Anne Goscinny, hantée comme elle par la mort de son père (René) à l'âge de 9 ans. Elle nous en dit plus.Comment est née l'idée de ce livre ?Je voulais parler de la psychanalyse qui occupe une place importante dans ma vie. En même temps, c'est très prétentieux d'y consacrer un livre alors que je n'ai pas fait d'études sur le sujet. Alors, j'ai imaginé prendre le biais du polar, et cette histoire de crime, pour raconter des séances de psy.D'où cette construction kaléidoscopique...J'aime les constructions qui paraissent simples mais ne le sont pas. Comme en BD. J'aimerais laisser courir mon stylo pour mes romans, mais j'en suis incapable. Alors je me donne toujours des contraintes formelles. Ce sont ces mêmes contraintes qui me fascinent dans la chanson. Mon rêve serait d'en écrire pour les chanteurs que j'aime.D'où vous vient ce goût de la musique que l'on retrouve d'ailleurs dans votre écriture ?Petite, j'avais une énorme radiocassette sur laquelle j'écoutais Brassens. Contrairement à mon père, je pouvais entendre sa voix à l'infini. Anne Sylvestre, aussi, m'a beaucoup marquée. Avec ces deux-là, je me suis refait une famille. Leur rythme, leur diction, leur musique ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Plus tard, Claude Lemesle - le parolier de Joe Dassin et Serge Reggiani - m'a appris à écrire des chansons. Et j'en ai composé une pour ce dernier.Vous comprenez ce psy qui veut tuer sa femme ?Lorsque j'ai eu la quarantaine, la lecture des magazines féminins m'a donné l'impression que j'étais passée du côté des seniors. Pour continuer à plaire, il faut s'occuper de soi beaucoup plus qu'avant. Cécile, la femme de mon psy, s'est laissée aller. C'est la vie. Mais lui, comme beaucoup d'hommes, ne l'a pas supporté. J'ai eu envie de dire qu'on pouvait tuer quelqu'un en ne le désirant plus. Et de ce meurtre symbolique, on arrive à un meurtre réel.Quand avez-vous ressenti le besoin d'écrire ?Après la mort de mon père, j'ai commencé à écrire des nouvelles. Des lettres, aussi. Beaucoup. Il y avait une résonance dans les mots que je savais ne pas pouvoir retrouver dans les voix. Tourner les pages des livres de mon père est pour moi la seule façon de l'entendre. Alors je me dis que si je continue de rire en lisant ses livres, son ombre se penchera peut-être sur moi quand j'écris.Propos recueillis par Yasmine Youssi « Le Banc des soupirs », Grasset, 176 pages, 13 euros. Anne Goscinny, écrivain
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