La faute à l'Europe... ou presque

À ceux qui imaginent que tout a été dit sur la crise financière et tiennent pour acquis que l'abondante épargne des pays à balance commerciale excédentaire (ceci incluant bien sûr la Chine), en permettant le maintien de taux d'intérêt bas, a encouragé l'endettement inconsidéré des ménages américains et la formation d'une bulle immobilière, je recommande la lecture d'un article rédigé par quatre auteurs... dont un certain Ben Bernanke, président de la Fed, à l'intention de la « Revue de la stabilité financière » de la Banque de France (n° 15, février 2011).On y apprend que, si c'est bien cette épargne mondiale pléthorique qui a créé les conditions de la crise, les capitaux ne venaient pas seulement d'Asie ou du Moyen-Orient, mais aussi - beaucoup - d'Europe. Avec deux circonstances aggravantes : primo, celle-ci, peu excédentaire globalement, s'est endettée pour acheter des actifs états-uniens ; et secundo, là où les émergents investissaient essentiellement en bons du Trésor, les Européens volaient vers d'autres instruments plus rémunérateurs mais aussi plus risqués comme les obligations adossées à des crédits hypothécaires (les fameux MBS) ou les ABS. Si l'on en croit les données fournies, l'Europe aurait avalé près de 1.000 milliards de dollars d'émissions « à risque », les émergents en acquérant moins de 100 milliards.Quoique les données contiennent de larges approximations - reconnues par les auteurs -, elles donnent à réfléchir. L'Europe est affligée à la fois d'un manque de dynamisme économique, qui pousse son épargne à s'investir au-delà de ses frontières, et de la frilosité d'une société vieillissante, qui cherche le placement sûr et rentable. Les banques européennes n'en sortent pas grandies, qui n'hésitèrent pas à s'endetter en dollars pour acheter force MBS et ABS.Reste que l'article n'est pas dénué d'arrière-pensées. Pointer du doigt la vieille Europe, empêtrée dans ses problèmes de dette et son absence de projet, permet de se refaire une virginité à bon compte. Il a, sur ce plan, l'efficacité redoutable qu'ont les vérités partielles, à la lisière du sophisme : les auteurs n'hésitent pas à suggérer que c'est la demande étrangère pour des placements sûrs (grâce à la signature « USA ») qui a poussé la finance américaine à y répondre avec les instruments (et le succès) que l'on sait, oubliant que si l'Europe en a acquis pour 1.000 milliards, les résidents américains en absorbèrent presque le double. Que l'ensemble du système financier américain ait pu, grâce à la négligence des agences de notation, aux CDS non gagés et autres rehausseurs de crédit, émettre des « trillions » de papier optiquement solide comme le roc mais devenu « pourri » du jour au lendemain, n'était finalement que la réponse naturelle à une demande très forte. C'est un peu comme si l'on affirmait que c'est l'insistance des épargnants à lui confier leur argent qui aurait fait sortir Bernard Madoff du droit chemin. C'est tout juste si on ne nous accuse pas d'avoir causé la crise à nous tout seuls... Et tant pis si le lustre de l'industrie financière la plus sophistiquée du monde en prend un coup au passage : plus question en effet de merveilleuses théories, ce n'est au final qu'une banale histoire de marchands qui sert de la camelote à des clients naïfs.Sans vouloir être trop cruel, on rappellera que le Dr Bernanke a attendu mars 2007 pour appeler les banques à « faire preuve de vigilance sur la solvabilité des emprunteurs de subprimes », ajoutant que « l'impact sur l'économie et les marchés financiers des problèmes sur les subprimes serait probablement circonscrit ». On lui rappellera aussi que, plus de trois siècles auparavant, un certain La Fontaine nous avait avertis : « Un fol allait criant par tous les carrefours/Qu'il vendait la sagesse, et les mortels crédules/De courir à l'achat. »
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