Paris renforce son droit de l'arbitrage

On présente parfois l'arbitrage comme une forme de justice secrète. Pourtant il serait faux de penser que les parties recourent à l'arbitrage pour échapper au caractère public de la justice étatique. Bien que répandue dans le grand public, cette perception ne correspond pas du tout aux motivations des parties. Celles-ci recourent à l'arbitrage pour deux raisons essentielles. La première est que l'arbitrage associe les parties, à toutes les étapes de la procédure, à la manière dont le procès va se dérouler. Les parties pourront par exemple convenir de faire entendre des témoins par le tribunal arbitral, ce qui ne se fait pas devant les juridictions françaises en matière commerciale. En matière internationale, cette possibilité de forger une procédure correspondant aux voeux des parties se double d'une considération de neutralité. Dans une relation américano-japonaise, les Américains ne veulent pas plaider devant les juridictions japonaises, pas plus que les Japonais devant les juridictions américaines. C'est la raison pour laquelle les parties s'accorderont à voir régler leur différend par voie d'arbitrage à Paris ou à Londres par exemple. Elles pourront convenir de la langue de l'arbitrage, ce qui est également un avantage non négligeable.La confidentialité de la procédure est très secondaire par rapport à ces considérations. Il existe au contraire une forte aspiration à la transparence dans la société civile, spécialement lorsqu'un État est en cause. C'est la raison pour laquelle le nouveau droit français de l'arbitrage maintient la présomption que l'arbitrage est confidentiel en matière interne mais écarte cette présomption en matière internationale. Lorsque les parties voudront que la procédure soit confidentielle, ce qui peut être tout à fait légitime dans certains cas, par exemple pour un contrat de licence de savoir-faire ou un contrat de vente à long terme de gaz, elles devront alors le spécifier. Elles devront surtout prévoir les sanctions d'éventuelles violations de cette confidentialité. L'arbitrage est parfois présenté en rivalité avec la justice étatique. Certains estiment que recourir à l'arbitrage revient à manifester une certaine défiance à l'égard des tribunaux. Rien n'est plus faux. L'objectif de toute société moderne est de voir les litiges se régler de manière juste et, si possible, acceptée par les parties. Les juges ne peuvent donc que se réjouir de voir des litiges réglés dans des conditions susceptibles de déboucher sur une décision qui sera d'autant plus spontanément acceptée par les parties que celles-ci auront été étroitement associées au processus. C'est la raison pour laquelle les juges français n'hésitent pas à soutenir l'arbitrage. La réforme récente du droit français va clairement dans ce sens en permettant par exemple au juge, à la demande de l'arbitre, d'inviter des tiers à produire des documents qui pourraient être utiles à la solution d'un arbitrage. Cela montre bien qu'il n'existe aucune rivalité entre ces deux formes de justice. Par ailleurs, le juge sera toujours appelé à contrôler, à la fin du processus, que l'arbitrage s'est déroulé de manière loyale et que la décision des arbitres ne méconnaît pas les principes essentiels de notre droit, ce que l'on appelle l'ordre public. Une sentence consacrant un partage de marchés entre concurrents par exemple serait annulée. Le contrôle ultime du juge est une garantie essentielle du bon fonctionnement de l'arbitrage.Le nouveau droit renforce par ailleurs l'efficacité de l'arbitrage. En matière interne, il inverse la présomption selon laquelle les parties étaient censées avoir voulu bénéficier d'un second degré de juridiction devant la cour d'appel. Si les parties recourent à l'arbitrage, ce n'est pas pour que le litige se poursuive devant une cour d'appel. En matière internationale, la sentence devient exécutoire dès qu'elle est rendue, même si une partie forme un recours en annulation à son encontre. Le nouveau droit confirme par ailleurs les exigences minimales d'indépendance et d'impartialité que les arbitres doivent présenter. Ceux-ci ne sont pas les représentants des parties dans le tribunal mais de véritables juges qui doivent être et demeurer indépendants des parties. Une autre nouveauté importante en matière internationale tient au fait que les parties peuvent désormais renoncer à tout recours en annulation à l'encontre de la sentence, comme c'est déjà le cas en Suède, en Suisse ou en Belgique. Cela ne signifie pas que la sentence ne sera soumise à aucun contrôle étatique mais seulement que ce contrôle s'exercera au lieu où une partie cherchera à exécuter la sentence.La seule question aujourd'hui ouverte est celle de l'opportunité de voir les personnes morales de droit public résoudre leurs litiges par voie d'arbitrage. En matière internationale, le souci légitime de neutralité - de ne pas être contraint de plaider devant les juridictions de l'autre - que peut faire valoir le partenaire étranger conduit à accepter que les personnes morales de droit public puissent recourir à l'arbitrage. En revanche, la voie ouverte par le tribunal des conflits dans son arrêt Inserm du 17 mai 2010 qui suggère qu'il puisse y avoir en France deux droits de l'arbitrage, l'un administratif et l'autre de droit commun, est très fâcheux. Une telle dualité est de nature à ruiner les efforts de modernisation du droit français et d'attractivité de la place de Paris. Une intervention du législateur sur ce point, consistant à créer un bloc de compétence au profit des juridictions de l'ordre judiciaire en matière d'arbitrage de façon à préserver l'unité de la matière, serait donc bienvenue. (*) Emmanuel Gaillard est professeur de droit à l'université Paris XII, associé responsable du département arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling LLP et l'un des spécialistes les plus reconnus dans le monde en la matière.
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