Une bonne catastrophe

Les Britanniques ont un dicton : « Il ne faut pas gâcher une bonne crise. » La City semble l'appliquer à la lettre, comme est venu le rappeler le tsunami au Japon. Lors d'une conférence consacrée aux hedge funds, organisée la semaine dernière par Bloomberg, les investisseurs débordaient d'idées sur la façon d'en tirer profit. Tim Love, gérant à CQS, spécialiste des matières premières, conseille de se lancer dans le trading d'uranium. Il se sent cependant obligé de s'excuser au préalable, mettant des gants : « Ce qui s'est passé au Japon est une tragédie humaine. » Mais les remords passés, il se lance : « Si je mets ma casquette purement commerciale, l'uranium est probablement une bonne opportunité. »L'uranium a chuté de 68 dollars à 50 dollars en quelques jours, alors que l'année avait commencé avec des rumeurs d'un prix qui pourrait monter à 100 dollars. Pour John Redwood, président d'Evercore, un autre hedge fund, la tentation est trop forte. « Les prix ont tout simplement trop baissé. » Selon lui, le renouveau du nucléaire à travers le monde, qui expliquait la hausse des prix de l'uranium, devrait continuer, malgré les doutes actuels. Son confrère Paul Horsnell, de Barclays Capital, préfère surfer sur une autre crise, celle de la Libye. « Je recommande d'acheter du pétrole. Les exportations libyennes de brut vont être très réduites tandis que, dans le même temps, la consommation de pétrole est sur une tendance haussière depuis trente ans. »Cette façon opportuniste de saisir les occasions, même si elles proviennent de tragédies humaines, relève du B.A.-Ba du trader. Acheter des actions au plus bas de la panique financière de fin 2008 en est un des exemples les plus criants de ces dernières années. Mais les cerveaux de la City veulent aller plus loin.« L'objectif est de se protéger des risques à faible coût quand les marchés regardent ailleurs », explique Ari Bergmann, un spécialiste de la gestion du risque à Penso Advisors. Un exemple : une « option » sur le pétrole (produit financier qui donne le droit d'acheter ou de vendre à découvert du pétrole à un prix fixé) valait une dizaine de centimes l'an dernier, parce que personne ne se préoccupait d'une envolée de l'or noir, la crise économique étant encore la priorité. « Mais au début de la crise en Libye, les options sont montées à plus d'un dollar », ajoute Ari Bergmann. D'un coup, se couvrir sur le pétrole est devenu très cher. Ceux qui avaient agi à temps se frottent les mains aujourd'hui.D'où l'idée d'Ari Bergmann, pour laquelle il ne cache pas une certaine excitation : la possibilité d'une contagion de la crise libyenne et égyptienne à l'Arabie Saoudite. « En ce moment, cela semble très improbable », reconnaît-il. Mais il rappelle que le roi Abdullah est âgé de 87 ans, et que sa succession posera de sérieuses questions. « L'objectif est donc de trouver une façon pas chère de se ?hedger? contre l'Arabie Saoudite. » Ari Bergmann ne dit cependant pas comment s'y prendre. Mais l'idée est là. En langage « City », cela donne ça : « L'Arabie Saoudite est un énorme risque systémique, dont le coût est au mauvais prix. » Quand une crise éclatera dans la monarchie islamique, le marasme ne sera pas pour tout le monde.
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