Les fantasmes de la chasse aux évadés fiscaux

oint de vue Jean PANNIER Docteur en droit, avocat au barreau de ParisLa chasse aux comptes bancaires en territoire étranger est une sorte de fantasme qui hante de manière chronique les couloirs de Bercy. Elle ne peut évidemment passer à la phase action qu'avec le feu vert du ministre du Budget. Peu ou prou, tous les titulaires de ce poste ont été sollicités mais l'observation des faits montre qu'ils ont su résister à la tentation. Car vingt ans en arrière, les choses avaient mal tourné alors que la France vivait les dernières heures du contrôle des changes.Forte de la découverte en 1980 ? au cours d'une perquisition parfaitement légale ? d'un carnet contenant les noms de clients de la banque Paribas qui possédaient aussi un compte à la filiale Pargesa de Genève, la direction des Douanes avait su persuader son ministre de tutelle de l'importance des avoirs réfugiés à l'étranger et de la nécessité de les débusquer par des moyens moins avouables.D'une investigation irréprochable qui permettait des poursuites en justice, on était passé progressivement au stade de l'exploitation intensive de fichiers soustraits à leurs établissements respectifs par des employés indélicats. C'est ainsi qu'on découvrit dès 1983, dans la presse française, que la Douane exploitait un fichier de 5.000 résidents français titulaires d'un compte à l'UBS de Lausanne. Les gros comptes eurent droit à une perquisition tandis que les « petits comptes » étaient simplement convoqués. Lucide sur la provenance sulfureuse du listing acheté à deux informaticiens de l'UBS et qu'il avait d'ailleurs fallu faire décrypter par le service du chiffre de l'armée, la Douane préféra transiger avec le plus grand nombre de résidents qui devaient alors reconnaître l'infraction et produire les relevés. Mais enhardie par le succès de l'opération, elle poursuivit ensuite les récalcitrants en justice, assurée de surcroît d'une attitude compréhensive des parquets et des juges d'instructions.Le consensus était alors favorable à la répression et les acteurs du jeu judiciaire, comme le juge Michau, peu regardants sur l'origine des preuves. Dans le même temps, les « informateurs » étaient rattrapés par la justice suisse qui les condamnait respectivement à trois et quatre ans de prison « pour vol, service de renseignements économiques et complicité de tentative de violation du secret bancaire ». L'affaire alla jusqu'au tribunal fédéral dont la décision de condamnation fut publiée à Genève à « La Semaine Judiciaire » du 4 février 1986. Venant d'un État de droit, la condamnation suscita chez plusieurs juges et spécialement chez le juge Boizette un sursaut qui l'incita à solliciter l'annulation des procédures douanières fondées sur des documents volés. L'affaire fit grand bruit dans le monde judiciaire car elle plaçait une administration publique en situation de recel. Alors ! Au lieu d'en rester là, car après tout elle avait obtenu un nombre impressionnant de transactions dans la discrétion ? situation qui rappelle la pratique fiscale actuelle ? la Douane s'entêta en formant un pourvoi en cassation soutenu par un réquisitoire fleuve du parquet général. Mais le mal était fait sans qu'il soit même besoin de parler du prix payé par la Douane pour ce listing. La Cour de cassation confirma l'annulation des 18 plaintes audacieuses de la Douane, réaffirmant, dans son arrêt très remarqué du 28 octobre 1991, l'exigence du principe de loyauté dans la recherche des preuves.La douche froide aurait-elle cessé de produire aujourd'hui tout effet même s'il est vrai que le contrôle des changes est passé à la trappe en 1992 ? Bercy reste concerné. La sanction que la Douane avait reçue au plus haut niveau judiciaire demeure, pour des situations comparables dont on ne peut dire aujourd'hui comment elles vont évoluer, une véritable épée de Damoclès susceptible de fragiliser même des procédures judiciaires apparemment solides, y compris celles basées sur des aveux. Car le propre de la nullité en matière pénale, c'est son effet foudroyant et contaminant qui va détruire ce qu'on appelle les actes subséquents c'est-à-dire tous les actes, mêmes légaux, postérieurs à l'acte vicié. On l'a vérifié dans l'affaire UBS très fournie en actes judiciaires. On peut certes estimer que ce qui est transigé est acquis et que c'est toujours ça de pris sur la fraude. Mais le problème est surtout lié au séisme qu'entraîne inévitablement ? on le voit chaque jour au ton qui ne cesse de monter du côté helvète ? l'exploitation de fichiers déclarés volés. Même si la Cour de cassation ? voire le Conseil d'État ? avait des états d'âme pour sanctionner les procédures au regard par exemple de l'importance de la fraude, les récalcitrants n'en resteraient certainement pas là continuant évidemment leur bonhomme de chemin jusqu'à la Cour européenne de justice, plus stricte sur les principes comme elle vient de le prouver en sanctionnant à plusieurs reprises le régime des perquisitions du fisc baptisées pudiquement, comme celles des Douanes d'ailleurs, « visites domiciliaires ». Finalement, une amnistie aurait été bien plus efficace mais politiquement moins populaire. n
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