Régulation  : vers une « forteresse Europe »  ?

L'objectif d'intégration transfrontalière a été au coeur des initiatives de réglementation financière dans l'Union européenne (UE) tout au cours des années 2000, contribuant à émousser les frontières entre marchés financiers nationaux. Notamment, la plupart des banques d'Europe centrale et orientale sont devenues filiales de groupes occidentaux, et l'activité des marchés de gros s'est de plus en plus concentrée à Londres. L'impact économique de cette transformation, bien que très difficile à évaluer, a probablement été positif, en partie du fait des flux massifs de crédit qu'elle a canalisés vers les nouveaux États membres et qui ont été le carburant essentiel de leur rattrapage économique.Pendant cette période, intégration a souvent rimé avec libéralisation, à mesure que les protections dont bénéficiaient les acteurs financiers nationaux ont été érodées par l'action communautaire. Ce programme a bénéficié d'un étonnant consensus politique, tant dans les États membres qu'au Parlement européen. Le lobbying du secteur financier a joué un rôle, mais le facteur principal est ailleurs : en l'absence d'accord des États pour une régulation forte au niveau fédéral, la libéralisation était le seul moyen réaliste d'atteindre l'objectif partagé de construire un marché unique des services financiers.Mais tout a changé avec la crise. L'impératif de stabilité financière est désormais dominant, justifiant l'interventionnisme des gouvernements et une « rerégulation » du système financier. Celle-ci remet spontanément en avant le niveau national, qui concentre expertise et force de frappe budgétaire, et crée un risque inédit de refragmentation de l'espace financier européen. Pour l'éviter, il n'y a guère d'autre choix que de renforcer la capacité de supervision financière au niveau supranational, devenue condition nécessaire à la survie du marché unique. D'où la décision sans précédent, prise l'an dernier à la suite du rapport de Larosière, de créer de véritables autorités de surveillance financière européennes, même si leurs modalités de mise en place sont encore en discussion.Mais la menace de fragmentation n'existe pas qu'à l'intérieur de l'UE. Elle s'applique aussi vis-à-vis du reste du monde. Dans leur combat pour le marché unique, les Européens pourraient bien créer sans s'en rendre compte de nouvelles barrières, externes celles-là, portant atteinte à la dynamique d'intégration financière au niveau international. Qu'on s'en convainque à la vue des dernières initiatives en date : la régulation européenne des agences de notation, adoptée en 2009, risque de compromettre la cohérence mondiale de leurs méthodologies. La proposition de directive sur les hedge funds et le private equity va probablement réduire l'accès au marché européen des fonds gérés hors de l'UE. Sur les produits dérivés, la Commission insiste pour des infrastructures de compensation ou de négociation distinctes des deux côtés de l'Atlantique, au risque de morceler le marché en sous-ensembles régionaux. Indépendamment des mérites propres de chacun de ces projets, ils présentent tous un potentiel de fragmentation financière.Simultanément, et malgré les beaux discours de ses dirigeants lors des sommets du G20, l'UE semble se méfier de plus en plus des règles financières élaborées au niveau mondial. Après avoir tenu un rôle déterminant dans l'essor des normes comptables internationales, elle a récemment mis cette entreprise en péril par ses tentatives, en partie couronnées de succès, d'en contrôler le contenu. De même, après avoir longtemps soutenu les efforts du Comité de Bâle pour harmoniser le contrôle des fonds propres bancaires, les Européens font de la résistance sur ses dernières propositions. Bien sûr, de telles tensions ne sont en rien spécifiques à l'Europe, et les États-Unis agissent aussi souvent de manière unilatérale. Mais l'accent mis sur l'intégration interne semble parfois rendre l'UE particulièrement oublieuse des conséquences internationales de ses décisions.Le risque pour l'Union est soit de contribuer à un jeu à somme négative de fragmentation financière mondiale, soit d'être marginalisée si d'autres régions poursuivent une dynamique d'intégration. La rerégulation n'est pas forcément incompatible avec l'intégration transfrontalière, et l'impératif de stabilité peut justifier d'ériger certaines nouvelles barrières. Mais encore faut-il que les arbitrages correspondants soient clairement identifiés.(*) Chercheur invité au Peterson Institute, à Washington.Point de vue Nicolas Véron Économiste au sein de Bruegel, centre de réflexion sur les politiques économiques en Europe (*)
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