La ligne Maginot du ferroviaire français

La prochaine action gouvernementale va discrètement achever le verrouillage du marché ferroviaire français jusqu'en 2018. Fin juin, l'État conventionnera la SNCF pour les Corail Intercités après avoir repoussé à la rentrée le débat sur les TER (Trains express régionaux) et la création de l'Araf, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires. Le dossier ferroviaire entrera alors en hibernation politique.Les Intercités occupent une place à part dans le réseau. Ces 26 lignes traditionnelles, à la clientèle jeune et active se déplaçant sur moyenne distance, relient des départements ou des régions?: grand bassin parisien (Paris-Bourges), arc atlantique (Bordeaux-Nantes), grand centre (Bordeaux-Lyon). Un grand TER sans conseil régional. La SNCF le plaide depuis longtemps?: ces liaisons structurellement déficitaires doivent relever du service public.L'État décide donc d'assumer la charge financière de ce réseau d'intérêt national. Rien de choquant, mis à part qu'il décide d'attribuer ce marché public sans appel d'offres. Même si le règlement européen l'autorise, c'est un acte explicite de refus d'ouverture du marché. Cette mise en concurrence ne présenterait aucune des difficultés du dossier TER, car l'activité Intercités n'a en propre ni gares ni distribution et en conséquence peu de personnels dédiés, hors conducteurs ou contrôleurs facilement redéployables. Aucun élu ne pourrait se sentir exposé par une telle décision ou la SNCF mise en péril par une perte limitée de chiffre d'affaires (Intercités pèsent 400 millions d'euros sur un total de 25 milliards), largement compensée par la disparition de pertes. Bref une expérience de concurrence à faible risque qui permettrait de tester quelques nouveaux entrants (Veolia, DB Regio).Protéger la SNCF semble donc la seule raison d'être de la politique française. Cette décision le confirme après les dossiers TER et Araf. En différant la sortie du rapport Grignon en fin d'année, on repousse concrètement le calendrier techniquement possible pour un éventuel appel d'offres en faveur du TER. Le renouvellement de la majorité des conventions actuelles devient possible sans compétition. Vers 2016, et sous réserve de l'évolution de la réglementation française, il faudra encore trouver un président de conseil régional assez casse-cou pour faire ce que l'État n'a pas osé faire dans un cas plus facile comme les Intercités. Enfin pour être certain de ne pas être gêné par une Araf qui prendrait son rôle au sérieux, sa création est sans cesse reportée.Hélas, les murailles enferment le défenseur plus sûrement qu'elles ne préviennent l'assaut. La DB doit se réjouir secrètement. Elle a les mains libres pour poursuivre sa stratégie de croissance externe en Europe sur le transport urbain. La bagarre pour Arriva a montré que la SNCF ne pouvait pas suivre. Quand sa position de numéro un sur ce secteur sera consolidée, comme l'est sa position de leader sur le fret, la DB s'attaquera au marché de la grande vitesse, à compter de 2015.La SNCF, empêtrée dans son statut d'entreprise publique, alourdie par ses activités protégées peu rentables, stigmatisée pour protectionnisme, ne pourra guère s'opposer aux contournements. Tel est le destin de cette nouvelle ligne Maginot avec les liaisons internationales pour Ardennes. Eurostar et Thalys seront attaqués. À l'horizon 2020, les liaisons interrégionales offriront de nouveaux espaces?: Lyon sera à 2 heures de Milan, 2?h?30 de Barcelone et 3 heures d'Innsbruck. Dans un espace ferroviaire européen, les stratégies franco-françaises sont dépassées.Le politique français aura acheté la paix sociale ferroviaire. Mais une bombe sociale à retardement est léguée aux gouvernements futurs. Et la France sera passée à côté d'une opportunité unique de développement industriel et économique.(1) Auteur de « Concurrence ferroviaire?. La France peut-elle gagner?? », éditions Lignes de repères.Point de vue Jean-Claude Favin Lévêque Consultant (1)
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