Les enjeux de la bataille de l'intérim au Japon

Au lendemain de sa large victoire face au Parti libéral-démocrate lors des législatives de l'été 2009, le Parti démocrate s'était engagé sur un programme social ambitieux, prévoyant notamment de mieux protéger les intérimaires, licenciés massivement à partir de la fin 2008. Malgré l'approbation gouvernementale d'une révision législative allant dans ce sens en mars 2010, son vote a été repoussé suite à la démission du Premier ministre Hatoyama début juin et à la cinglante défaite du Parti démocrate aux sénatoriales en juillet. Dans quel contexte se situe cette mesure, atypique par rapport aux politiques des autres pays??La philosophie de l'emploi à vie a longtemps freiné la diffusion du travail temporaire au Japon. Parallèlement, l'idée que les services d'accès à l'emploi devaient être gratuits et assumés par l'État faisait consensus. Mais, à la faveur des déréglementations du marché du travail des années 1980, les premières agences de travail temporaire furent autorisées alors que les employeurs cherchaient à comprimer leurs coûts. Ces agences appliquaient deux types de systèmes?: « l'inscription » des intérimaires, rémunérés uniquement pendant les périodes d'activité et « l'embauche » de l'intérimaire par l'agence.Progressivement, la législation sur l'intérim s'est assouplie. Alors que, dans la loi initiale de 1985, le champ d'application du travail intérimaire était restreint à 26 activités spécifiques, dans celle de 1999, les secteurs interdits à l'intérim devenaient l'exception, notamment le secteur manufacturier dont le verrou a sauté en 2004. Ces assouplissements ont toutefois changé l'esprit initial de la loi visant à ce que l'intérim ne se développe pas au détriment de l'emploi régulier (CDI à temps complet). De fait, les intérimaires sont passés de 145.000 à 1.400.000 entre 1986 et 2008, puis à 1.080.000 en 2009 soit 6,3 % des salariés non réguliers. Si bien que la part des salariés réguliers s'est effondrée de 82 % à 66 % entre 1988 et 2008. Au sein des salariés non réguliers, les intérimaires ont souvent des conditions de travail emblématiques des abus de pouvoir des employeurs. Outre la masse d'intérimaires privés brutalement d'emploi pendant la crise de 2008-2009, nombre d'entre eux ont également perdu leur logement fourni par l'entreprise.En effet, la loi japonaise sur le travail intérimaire est peu protectrice car elle ne réglemente pas le renouvellement des contrats, les primes de licenciement ou la protection de l'emploi et pénalise peu les entreprises contrevenantes. Le Parti démocrate a décidé d'amender cette loi en proscrivant le système d'inscription des salariés auprès des agences d'intérim, en interdisant l'embauche des intérimaires sur contrat court dans le secteur manufacturier ainsi que l'intérim journalier ou inférieur à deux mois, et en obligeant l'entreprise à embaucher l'intérimaire dans le cas d'un intérim illégal. Toutefois, la portée de la nouvelle loi pourrait être restreinte.Tout d'abord, sur les 26 activités spécifiques exclues de la proscription du système d'inscription des agences, certaines sont peu qualifiées. Ensuite, le patronat exerce des pressions pour aménager l'interdiction de l'intérim dans le secteur manufacturier. Enfin, la nouvelle législation ne spécifie pas les responsabilités respectives des agences d'intérim (période et conditions d'emploi, droit à la formation) et des employeurs vis-à-vis des intérimaires.Si la révision de la loi sur l'intérim suscite des critiques de toutes les parties prenantes, elle a le mérite de mettre en lumière le problème de la forte dualité du marché du travail japonais entre les salariés réguliers protégés et les autres, réservoirs de travailleurs pauvres. Même si cette révision législative ne pourra à elle seule stabiliser l'emploi, elle n'en marquera pas moins, si elle est votée, une avancée vers la réduction des inégalités sociales au Japon.
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