Le projet de fusion Arcep/CSA fait l'unanimité contre lui

La mission ministérielle sur le rapprochement du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de l’Arcep, le régulateur des télécoms, annoncée mardi soir par le Premier Ministre, a semé l’émoi dans tout le secteur du numérique, chez les deux autorités administratives indépendantes elles-mêmes, chez certains des acteurs qu’elles régulent ou qui craignent de l’être. Sur les réseaux sociaux, les réactions sont majoritairement négatives de la part des défenseurs de l’Internet libre et des partisans d’un gendarme puissant des télécoms pour protéger les consommateurs et garantir un certain équilibre concurrentiel. Seuls les opposants au régulateur se réjouissent en coulisses. L’association « La Quadrature du Net » a tout de suite réagi, s’inquiétant que le gouvernement « prenne le chemin d\'une régulation incompatible avec le principe fondamental de neutralité du Net : réduire Internet à un service audiovisuel pour y imposer une régulation administrative ouvrirait la porte à la censure. » Voulant jouer l’apaisement, la ministre déléguée à l’Economie numérique, Fleur Pellerin, chargée de réfléchir au sujet avec le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, et sa collègue à la Culture et la Communication, Aurélie Filippetti, a assuré que le gouvernement est « opposé à la surveillance généralisée et au filtrage. Nous restons très attachés à ces principes. La question n\'est pas de limiter la liberté d\'expression et les capacités d\'innovation liées à la neutralité du Net » déclare-t-elle dans un entretien paru jeudi dans « Les Echos. »La télévision connectée, un prétexte Selon nos informations, Matignon avait prévenu fin juillet la direction des deux autorités mais en interne, c’est le coup de massue : en plus des réductions budgétaires déjà en préparation, les agents et les membres des collèges craignent de nouvelles coupes et un affaiblissement durable de leur pouvoir dans une usine à gaz. « L’arrivée de la télévision connectée est un prétexte, qui permet au gouvernement de ne pas dire tout haut qu’il trouve le CSA nul et qu’il veut reprendre en main l’Arcep » décrypte un haut fonctionnaire. Fleur Pellerin invoque en effet l’essor (encore très modeste) des téléviseurs connectables à Internet, brandi comme une menace potentiellement fatale par les chaînes de télévision, comme la raison de cette réflexion « sur les modes de régulation des contenus accessibles à partir des supports de diffusion multiples. » Le gouvernement voulait à la fois changer le mode de nomination des patrons de l’audiovisuel public, réduire le nombre de membres du collège de neuf à cinq (une mission aurait été confiée en ce sens à Francis Beck, ancien membre du CSA, selon « L’Express ») et pérenniser le financement de la création dans le cadre de « l’acte II de l’exception culturelle française.» Ce qui ne nécessite pas forcément une fusion avec l’Arcep.Mettre l’Agence nationale des fréquences dans la boucle S\'il s\'agit de faire des économies, un regroupement « permettrait tout au plus de supprimer 10 à 20 postes de doublons dans les fonctions supports, sur 300 personnes au CSA et 170 à l’Arcep » objecte un bon connaisseur du dossier. Si Hadopi, l’autorité contre le piratage, n’est « pas dans le champ de la lettre de mission sur le CSA et l\'Arcep », selon Fleur Pellerin, elle pourrait toutefois être associée par la suite, comme le préconisait le rapport parlementaire Dosière-Vanneste en 2010, « en fait dissoute » considère un des régulateurs. La ministre annonce que le gouvernement sera  « en revanche vraisemblablement conduit à inclure dans (son) champ de réflexion le rôle de l\'ANFR, qui gère les fréquences et la question du deuxième dividende numérique. » En janvier 2011, son prédécesseur Eric Besson avait, au nom de la convergence, déjà prôné de rapprocher, le CSA, l’Arcep et l’Agence nationale des fréquences, dont le directeur général, Gilles Brégant, est un ancien du CSA. Cet établissement public, qui n’est pas une autorité administrative indépendante (AAI) comme les deux autres, emploie environ 320 personnes pour un budget de 38 millions d\'euros, contre 23 millions pour l\'Arcep et 38 millions également pour le CSA. « Il faut absolument mettre l’ANFR dans la boucle, ce sera l’unique point sur lequel le CSA et l’Arcep seront d’accord ! » ironise un haut fonctionnaire. Une façon de récupérer du pouvoir en déshabillant un autre organisme qu’Eric Besson avait incité à s’investir dans la planification de fréquences, quitte à doublonner avec le travail du CSA ou de l’Arcep.La vraie bataille se fera au Parlement Michel Boyon, le président du CSA, s’est félicité du lancement de cette réflexion sur « l’articulation entre le CSA et l’Arcep » qu\'il appelait de ses voeux, au grand dam d’autres membres du collège bien moins favorables à la fusion; le régulateur des télécoms a publié de son côté un communiqué bien plus réservé jeudi : « comme l’avait souhaité l’Arcep, la méthode retenue par le Gouvernement prévoit de réfléchir d’abord à l’évolution des objectifs de la régulation puis aux conséquences à en tirer sur l’organisation des autorités de régulation, dans les limites permises par le droit communautaire. » Car le gendarme des télécoms ne cesse de marteler que son champ, la régulation technico-économique, est « aux antipodes » de celle des contenus, et que Bruxelles veille à son indépendance. En janvier 2011, quand Eric Besson avait voulu imposer un commissaire du gouvernement à l’Arcep, la commissaire Neelie Kroes était montée au créneau, prévenant qu’elle « vérifierait de très près la conformité de ce projet avec la réglementation européenne. » Elle avait même écrit au ministre français pour lui rappeler que « l\'Arcep doit pouvoir exercer ses pouvoirs et s\'acquitter de ses responsabilités de façon indépendante et impartiale. » Mais pour les intéressés, chez les deux AAI, « la vraie bataille se fera au Parlement, quand le projet de loi de réforme de l’audiovisuel sera examiné, peut-être au printemps. » En attendant, elles affûtent leurs armes et font valoir qu’elles sont chacune « le régulateur le plus avancé de son secteur en Europe », sur la télévision connectée pour le CSA et sur la neutralité du Net pour l’Arcep, « pas par hasard », mais grâce à cette séparation…  
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