Les mauvaises pistes de réforme du système monétaire

STRONG>ParHenri BourguinatProfesseur émérite à l'université de Bordeaux (*)Après Séoul, les chefs d'État ont manifesté le souhait d'engager une réforme du système monétaire international. Il est grand temps de s'en préoccuper. La sous-évaluation du renminbi chinois ne s'atténue que très lentement et empoisonne les relations de la Chine et des États-Unis. Mais la crise des paiements ne se limite pas à cela. Partout, les déséquilibres se multiplient et menacent. Ils justifient donc tout à fait qu'on s'attache à réformer le système en profondeur. Pour autant, il n'y a pas, dans l'immédiat, de grandes chances de voir sortir du G20 un nouveau Bretton Woods. Cela pour trois raisons.En premier lieu parce que la réunion du G20 vient de confirmer toute l'ambiguïté des positions des principaux acteurs. « Armistice sur le front de la guerre des monnaies », a-t-on prétendu. En réalité, rien n'a été réglé. N'insistons pas sur la règle des 4 % du PIB des soldes courants pour limiter les déséquilibres commerciaux, un leurre des Américains qui devait nécessairement heurter les grands pays exportateurs. En fait, il y a eu une reculade des États-Unis qui, au dernier moment, ont rengainé leur accusation de « manipulation » du taux de change du renminbi qui aurait conduit à mettre en cause la Chine à l'OMC. En échange, l'empire du Milieu a réitéré son engagement à promouvoir une réévaluation du renminbi mais au rythme qu'il choisirait unilatéralement sans qu'on puisse tout à fait exclure qu'il rappelle un peu celui de la Longue Marche de Mao vers la Mandchourie.Un deuxième événement est venu interférer : c'est le nouveau cours de la politique monétaire américaine marqué par le tout récent épisode du « Quantitative Easing » (QE2). L'administration s'apprête à injecter 600 milliards de dollars en émettant des bons du Trésor rachetés par la Fed mais dont nul ne sait au juste où ils atterriront. S'ils devaient, comme cela ne saurait être exclu, nourrir la spéculation, en maintenant les taux bas, plutôt que de stimuler la consommation et l'investissement, sur de nouvelles classes d'actifs (or, actions, matières premières, denrées alimentaires, etc.), l'affaire de la réforme du SMI serait on ne peut plus mal engagée. Elle se heurterait à un risque d'arbitrage massif au détriment du dollar qui viendrait tout compliquer, notamment pour l'euro qui apparaîtrait comme « un amortisseur en dernier ressort » du désalignement du taux dollar-renminbi. Plus grave encore, la perte de contrôle de la politique monétaire américaine disqualifierait le dollar et affaiblirait sa crédibilité en tant que pivot du système monétaire international. Nul ne peut dire encore si, pour autant, cette politique monétaire déboucherait sur le regain d'inflation que souhaitent un peu désespérément les Américains pour alléger le poids de leur dette, ou si elle conforterait la prégnante tendance actuelle à la déflation. Il n'est pas exclu d'ailleurs que les États-Unis, en recourant ainsi à la planche à billets, aient voulu signifier à la Chine qu'ils disposaient ainsi, si nécessaire, de l'arme « nucléaire » pour faire s'apprécier le yuan par rapport au dollar. Une façon de rappeler, comme aimait à le dire Milton Friedman, que le change est un tango qui se danse toujours à deux.Il est un troisième motif de ne pas trop s'illusionner sur la « réformabilité » immédiate du SMI. On ne voit guère en effet quel pourrait être le principe fondateur d'un nouveau Bretton Woods. Revenir, d'une façon ou d'une autre, à l'idée de « zones cibles » du type accords du Plaza de 1985, suppose un consensus fort pour définir des fourchettes de variation et les taux centraux. Il y a, aujourd'hui, trop de parties prenantes et d'écarts béants entre les estimations de sur ou sous-évaluation des monnaies. Peut-on alors aller vers une substitution des droits de tirage spéciaux (DTS) au dollar comme monnaie internationale ? L'idée, fort ancienne, a été reprise en 2009 par la Chine elle-même, sur la base d'un compte spécial créé au FMI. À cet égard, la réforme de la gouvernance du FMI, actée à Séoul, intervient à point nommé. Mais une monnaie internationale, comme le montre la longue histoire de la livre ou du dollar, s'est toujours imposée par l'usage. Et ce n'est pas demain qu'on en viendra à facturer les exportations ou les importations en DTS. C'est plutôt sur l'extension des facturations en yuan que parient aujourd'hui les Chinois. Quant à l'idée avant-gardiste de contrebalancer l'achat par la Chine de bons du Trésor américain par des acquisitions d'actifs financiers chinois opérés par les États-Unis afin d'établir une vertueuse « réciprocité », elle se heurte à un obstacle dirimant : l'étroit contrôle des entrées de capitaux en Chine. Quant à remettre l'or dans le circuit, l'idée peut séduire certains, comme le patron de la Banque mondiale, Robert Zoellick. Mais prendre comme point fixe un actif qui est lui-même pris dans une bulle peut, pour le moins, surprendre.Au total, il n'y a pas, actuellement, de véritable « fenêtre de tir » pour une réforme immédiate du SMI. Est-ce à dire qu'il faille ne rien faire ? Ce serait la plus mauvaise des attitudes. Il faut au contraire préparer activement un nouveau Bretton Woods mais en jetant les bases dans un délai raisonnable (par exemple d'un à deux ans) de la Première Conférence mondiale du XXIe siècle.(*) Dernier ouvrage paru : « Marchés de dupes », avec Éric Briys (éditions Maxima).
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