Un « what-if scenario » pour la zone euro

On ne connaîtra sans doute jamais les circonstances qui ont permis à WikiLeaks d'entrer en possession des documents révélés cette semaine, prélude à une nouvelle tempête sur les marchés financiers. L'hypothèse d'une sacoche oubliée dans un train par un fonctionnaire portugais semble peu crédible et n'explique pas comment elle serait parvenue entre les mains de Julian Assange. Reste que la divulgation d'un « working paper » à en-tête du ministère des Finances du Portugal, évoquant les effets d'un défaut coordonné des dettes souveraines portugaise, grecque, espagnole et irlandaise, a pris de court les autorités.Ce qui, selon la thèse officielle, n'était qu'un scénario fictif destiné à envisager les mesures à prendre pour le cas où les marchés feraient ce pari, s'est transformé en cas réel. Comme le titrait hier le « Financial Times » : « A what-if scenario triggers the havoc it was aiming at preventing » (« un exercice prospectif déclenche la pagaille qu'il était censé éviter). Les universitaires pourront méditer longtemps l'impact des prédictions autoréalisatrices. Rappelons que le document prévoit pêle-mêle la restriction temporaire des flux de capitaux depuis la zone euro, une action concertée des banques centrales européennes, américaine, britannique, japonaise et, pour la première fois, chinoise, pour assurer la liquidité du système bancaire et soutenir l'euro, la suspension des ventes à découvert et des transactions sur CDS souverains, etc. Le texte reste cependant muet sur l'Italie et la France, hormis quelques notes sibyllines semblant révéler des dissensions. Surtout il n'évoque pas le sort de la monnaie unique, alors que de nombreux analystes considèrent que le défaut sur la dette ne constitue qu'une partie du remède, la compétitivité des pays concernés ne pouvant être rétablie que par une dévaluation, et donc, ipso facto, la disparition de l'euro.Tout ce qui précède n'est bien sûr qu'une fiction, destinée à soulever plusieurs questions.1. L'hypothèse d'un défaut partiel de certains États, évoquée de plus en plus fréquemment, laisse dans l'ombre la liste des États concernés. L'Italie ou la France seront-elles tentées, à l'approche d'échéances électorales (le débat risque d'être vif en interne), ou poussées à suivre par les marchés ? 2. L'euro pourrait-il y survivre ? 3. Comment préserver la confidentialité avec un nombre si élevé de parties prenantes ?Comme l'évoquaient très justement J.-J. et S. Ohana dans « La Tribune » du 18 janvier, la probabilité d'un défaut est jugée élevée et le temps permet aux investisseurs et aux banques européennes, largement exposées aux Pi(i)gs, d'anticiper. L'insistance allemande à inclure, dans le FESF, la possibilité d'un défaut à partir de 2013, pourrait être un signal subliminal dans cette direction, confirmé par les déclarations récentes de responsables politiques et économiques, et la persistance de taux élevés sur ces pays, attribuée aux vilains spéculateurs, s'explique aussi par le fait que beaucoup se délestent de leur papier, ce qui amortira le choc le moment venu.Cependant, le renforcement envisagé des moyens du FESF penche en sens inverse, preuve que rien n'est tranché : à l'évidence, la question de l'euro complique le débat, qui prend les allures d'un dilemme. Symbole fort, témoin d'une époque de construction enthousiaste, aucun État n'est prêt à envisager sérieusement sa disparition, et il n'est pas exclu que la fraction de l'opinion qui, aujourd'hui, le critique vienne à le regretter s'il disparaissait. Mais il faut être clair : le conserver, c'est nécessairement faire des concessions majeures vers une plus forte intégration des politiques économiques et budgétaires. Gouvernements et populations y sont-ils prêts ? Les pères de l'euro étaient conscients de ses imperfections et y voyaient le moyen de pousser à la convergence : malheureusement, l'histoire ne s'écrit jamais d'avance.
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